Je suis pour la liberté d’expression mais contre les expressions toutes faites. Je ne sais pas si vous avez remarqué – l’inverse serait bizarre – mais nous sommes envahis par les citations. Si je crois au grand remplacement, c’est à celui de la littérature par les citations. Internet pullule de sites dédiés aux citations, même Le Figaro s’y est mis :
Comme vous pouvez le constater, Marc-Aurèle joue des coudes avec Fabrice Luchini. Cela n’a aucun sens. La citation c’est aussi l’art de la dévaluation ; numérique et intellectuelle. Sur des applications comme Instagram on trouve donc de nombreux comptes dédiés aux citations, il en existe plusieurs types : la citation littéraire, la citation d’amour, la citation d’amitié, bref il y en a vraiment pour tout le monde.
Pour ma part, celles qui me font le plus ricaner, ce sont les citations inspirantes, c’est-à-dire toutes celles qui sont censées motiver, donner de l’inspiration. Ça se rapproche un peu de toute la mouvance « Développement personnel » dont s’abreuvent les névrosés. Comme vous le savez, les gens passent très vite sur ce genre de contenu et mettent un “cœur” à n’importe quelle phrase qui leur parle plus ou moins. Alors vous commencez à me connaître, ce délire autour des citations m’a donné envie de faire une farce.
J’ai donc créé un compte Instagram, téléchargé une application pour faire des petits montages très simples et j’ai commencé à chercher de jolies phrases prononcées ou écrites par des types plus moins affreux, ça allait d’Eric Zemmour à Jospeh Goebbels. Évidemment, il y en avait. Tout le monde a déjà dit un jour quelque chose d’assez universel et qu’une grande majorité de gens approuve. En ajoutant une jolie photo elle-même inspirante, ça donnait ce genre de trucs :
Comme vous pouvez le voir, 15 jeunes filles ont aimé une citation d’Eric Zemmour. Je dis “jeunes filles” parce que c’était systématiquement des gamines qui aimaient mes citations inspirantes :
Quand Eric Zemmour dit que “l’homme idéal est une vraie femme”, c’est une critique acerbe d’une supposée dévirilisation de la gent masculine, mais sous la forme d’une citation on peut aisément en faire une ode féministe. Rendez-vous compte que des gamines ont aussi apprécié une citation de Dodo la Saumure. J’avais fait en sorte que le nom de l’auteur soit peu visible mais je suis sûr que l’inverse n’aurait rien changé.
Souvent une bonne image suffit à détourner l’attention, comme avec cette photo, laquelle se porte garant du propos :
Au-delà de la blague, on voit bien qu’une phrase sortie de son contexte ne nous dit rien de l’ensemble dans lequel elle s’inscrit. Par conséquent on peut imputer des propos à une personne mais qui ne sont pas ses authentiques idées. D’ailleurs jour il faudra que je vous raconte comment au cours d’une soirée j’ai fait approuver de larges extraits du Manifeste fasciste à des jeunes gauchistes en leur faisant croire qu’il s’agissait d’écrits de Karl Marx.
Je vois souvent des citations d’écrivains qui sont en fait des citations de propos tenus par des personnages mis en scène par ces écrivains. Sauf que très souvent l’auteur n’est pas le narrateur et c’est encore moins un personnage. C’est comme si vous imputiez une phrase prononcée par un acteur au personnage qu’il joue. Sauf que Stalonne n’a jamais vraiment dit “c’était pas ma guerre”, ça c’est le lot de Rambo. (Les littéraires, ne venez pas me faire chier avec le Nouveau Roman, l’autofiction et compagnie, vous savez très bien ce que je veux dire.)
Aussi, cela nous montre bien que pas mal de gens restent très à la surface des choses, surtout sur les réseaux sociaux ou une chose est vite chassée par l’autre. La vitesse qu’impose Instagram en l’occurrence, interdit de se poser trop de questions. De manière plus générale je me suis toujours intéressé à la notion d’auteur, la falsification littéraire, la réécriture, le plagiat.
Depuis la traduction de Le moine de Lewis ou De l’autre côté du miroir par Antonin Artaud jusqu’aux pratiques de copie de texte de Kenneth Goldsmith en passant par l’œuvre de Minou Drouet, la relation entre l’auteur et l’œuvre est un chantier bien plus bordélique qu’il n’y parait. On a largement été habitués à ce que chaque production ait son producteur attitré, mais il n’y a rien de plus amusant que brouiller les pistes. Artaud, toujours lui, a même développé le concept farfelu de plagiat par anticipation :
En conclusion et pour revenir à notre sujet : méfiez-vous des citations en tout genre, c’est le pire ennemi de la réalité.