SUD Éducation, c’est quoi ?

SUD Éducation est un syndicat des employés de l’Éducation Nationale. Ce syndicat est très engagé dans la défense des intérêts des travailleurs de ce secteur. Il défend la revalorisation de leurs salaires, demande de meilleures conditions sanitaires en pleine période de COVID, se bat pour la sécurité d’emploi, dénonce la casse de l’Éducation Nationale et des services publics, etc. Et sur ces sujets-là, il est évident qu’il faut les soutenir et qu’ils sont sur la bonne voie. Jusqu’ici rien à signaler de particulier, et depuis 2016 j’ai marché aux côtés de SUD – et des autres syndicats – lors de nombreuses manifestations pour des questions liées au travail.

Racialisme : les formations non-mixtes

Cependant sur d’autres sujets, SUD Éducation a des positions qui paraissent très… étonnantes. Par exemple, en 2017 SUD Éducation 93 fait des ateliers militants dont certains sont en non-mixité raciale, discriminant les personnes de couleur blanche. Discriminer les gens selon leur couleur de peau, c’est assez curieux venant d’un syndicat qui se prétend internationaliste.

On apprend en lisant le programme de ces formations qu’un des ateliers a pour problématique : "Comment enseigner une histoire décoloniale ?" Et c’est grave à tous les niveaux. Déjà, un professeur n’est pas censé montrer une orientation politique dans ses cours, la seule idéologie qu’il est en droit de diffuser est celle du régime en place, dans notre cas actuel il doit simplement légitimer la Cinquième République. D’autre part, à l’heure actuelle nos cours d’histoire font de moins en moins de roman national – et je trouve ça bien – et on essaie d’inculquer une histoire un peu plus scientifique autour de problématiques diverses et variées plutôt que de juste montrer des grands hommes avec des discours manichéens pour justifier un régime au pouvoir.

Extrait du programme du stage.

En 2017 je sortais tout juste du lycée et à cette époque on avait un cours sur les mémoires de la guerre d’Algérie, prenant les points de vue des divers protagonistes – pieds-noirs, militaires français, OAS, FLN, harkis, immigrés algériens, etc – et nous devions comparer les discours mémoriels créés a posteriori par ces différents groupes en les analysant sur un pied d’égalité et en prenant en compte la réalité complexe du conflit. Est-ce encore un enseignement trop nationaliste, colonialiste et franco-centré ? Je ne crois pas. Alors ce serait quoi, un enseignement "décolonial" ? Un enseignement qui fustige le côté Français et qui glorifie le FLN ? Un enseignement qui gomme la complexité du conflit en oubliant les civils pieds-noirs, les conflits entre FLN et MNA et les divisions au sein des communistes, préférant une histoire manichéenne du gentil "racisé" qui se révolte contre le vilain colon ? Si l’enseignement "décolonial" c’est reprendre bêtement le roman national algérien mis en place par le FLN, non merci. S’il faut être critique envers le roman national républicain français, ce n’est pas pour adopter celui d’un pays étranger à la place. Remplacer une histoire critique par un roman identitaire, c’est un énorme bond en arrière en termes d’éducation. On est dans la même vision de l’histoire que celle de Julien Rochedy, mais pour les minorités ethniques. Et Marianne nous apprend ceci dans un article :

“Les participants à ce stage, qui qualifie l’Education nationale d’institution gangrénée par le “racisme” et “l’islamophobie”, seront payés… par l’Education nationale. En effet, Sud-Education 93 prend soin de préciser que “chaque fonctionnaire ou agent non titulaire, syndiqué ou non, peut bénéficier de 12 jours de formation par an sans aucun retrait de salaire”. La loi donne effectivement droit à tout fonctionnaire de prendre un “congé de formation syndicale avec traitement d’une durée maximum de 12 jours ouvrables par an”. Il suffit pour cela d’adresser une demande écrite au moins un mois à l’avance à son administration. C’est donc aux frais de l’Etat, et donc des contribuables, que les 70 participants iront participer à des ateliers sélectionnant les participants selon leur couleur de peau.”

Bien sûr, je suis favorable au droit d’avoir des formations syndicales et je ne prône pas une censure venant de l’État sur celles-ci qui risquerait d’aboutir à une répression anti-syndicale. Cependant les syndicats comme SUD devraient faire preuve de responsabilité et ne pas verser dans des délires racialistes aux côtés d’associations réactionnaires. Profiter de ce droit et de l’argent public pour répandre ce genre de discours racistes plutôt que de parler de lutte des classes tout en se prétendant de gauche, c’est vraiment désolant. D’ailleurs la loi était du côté du syndicat – même si je trouve étonnant que nos lois contre les discriminations ne soient pas assez larges pour prendre en compte ce type de ségrégation – mais le présent article est une critique politique et nous ne nous attarderons par sur la question de la légalité.

Certains tentent parfois de nous faire croire que critiquer cet identitarisme "de gauche" serait un discours venant des néoconservateurs états-uniens. Et il faut reconnaitre que ces débats venus des États-Unis sont souvent mal adaptés en France, et les sources intellectuelles venues des États-Unis ne sont traduites que partiellement et la plupart des états-uniens s’opposant à cette idéologie dont on entend parler dans l’espace médiatique français sont effectivement soit des néoconservateurs soit des gens issus de l’alt-right. De loin on a donc l’impression que ce conflit intellectuel autour de la question de la "racisation" se joue entre une gauche qui reconnaîtrait unanimement tous les concepts identitaires intersectionnels-décoloniaux, des néoconservateurs qui nient toute discrimination tout en véhiculant le mythe de la méritocratie, et une alt-right dont tous les membres seraient des suprématistes blancs. En réalité tout est plus complexe que ça et il y a beau n’y avoir que deux grands partis politiques, au sein de ces deux partis il y a énormément de courants. Ainsi, aux États-Unis on a aussi toute une gauche qui critique les dérives identitaires d’un certain pseudo-antiracisme. Et quoiqu’en dise Philippe Marlière, non il n’y a pas que des blancs dans cette gauche-là.

Au passage l’article qu’il critique ne donne la parole qu’à des intellectuels états-uniens noirs.

La question de l’islamisme

Le stage de formation de SUD Éducation 93 s’est fait en collaboration avec le CCIF. Le CCIF, nous en avons déjà parlé sur ce blog. Pour la faire courte, c’est une association qui prétend militer contre une supposée islamophobie tout en défendant les pires salafistes, en fricotant de manière assez suspecte avec des salafistes et en doxxant des gens qui ne vont pas dans leur sens. C’est assez étonnant de voir qu’un syndicat comme SUD, défendant pourtant l’égalité hommes-femmes et les droits des minorités sexuelles, ait des rapports cordiaux avec une association comme celle-ci.

Chez SUD Éducation 29, dans le Finistère, on apprend qu’il serait malvenu de faire une minute de silence en hommage à Samuel Paty, décapité par un djihadiste. Le syndicat s’exprime ainsi :

« L’école est un lieu de débat : au-delà de la journée de rentrée, donnons-nous les moyens de mener une réflexion sur les questions de laïcité et de lutte, tant contre le fanatisme islamiste que contre la stigmatisation de la communauté musulmane. »

Pour la discussion, je veux bien l’entendre, mais qu’est-ce que vient faire la supposée "stigmatisation de la communauté musulmane" ? Samuel Paty a été tué suite à des accusations foireuses d’ "islamophobie" et SUD Éducation 29 aurait voulu qu’on le tue une deuxième fois en validant les théories fumeuses autour d’un supposé climat "islamophobe". Les discours victimaires sur la surutilisation du concept d’ "islamophobie", nous en avons là aussi déjà parlé sur ce blog dans notre article sur le CCIF.

Le célèbre Jérôme Martin, militant au CCIF et à SUD Éducation 93, est un ardent défenseur du salafisme et de Baraka City.

Baraka City est une association "humanitaire" dont le dirigeant Idriss Sihamedi est connu pour avoir fait l’éloge du Troisième Reich et d’Adolf Hitler, pour son radicalisme religieux qui va jusqu’à considérer qu’il est "islamophobe" de dire qu’Allah n’existe pas et pour son harcèlement et ses menaces envers des journalistes et des militants.

Padamalgam ?

SUD est un des cinq plus gros syndicats français. Il est donc évident qu’il y a différents courants au sein du syndicat et que ses militants ne sont pas forcément tous complaisants avec l’islamisme, même si on peut noter qu’ils ont beaucoup été intoxiqués avec le concept fumeux d’ "islamophobie" très présent sur tous leurs sites. De plus les syndicats ont souvent une structure qui laisse une large marge de manœuvre aux unions locales et départementales. Une union locale ou départementale peut donc prendre des positions qui ne font pas forcément consensus chez tous les syndiqués. Ainsi, s’il existe un évident entrisme islamiste au sein du syndicat – comme dans d’autres organisations de gauche plus ou moins touchées par ce phénomène – il arrive aussi parfois à certaines unions locales ou départementales de chez SUD de prendre des positions totalement inverses. Par exemple, lorsqu’en 2015 un professeur a été suspendu par le rectorat d’Alsace pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo, SUD Éducation Alsace a appelé à la mobilisation pour défendre le professeur.

Toujours en 2015, quelques mois plus tôt, SUD Éducation 03 défendait les victimes de l’attentat Charlie Hebdo sans aucune complaisance pour les terroristes et réclamait plus de protection pour les journalistes menacés. De son côté, SUD Éducation 31-65 décrit à juste titre l’islamisme comme un "fascisme religieux", mais la première chose que le syndicat a à dire c’est… de ne pas faire d’amalgames. C’est un peu léger. Malheureusement, à part des condamnations morales et la réclamation de mesures de sécurité pour les journalistes, le discours de SUD Éducation sur l’islamisme ne va pas très loin. C’est assez dommage venant d’un syndicat d’un corps de métier qui est en première loge pour voir la radicalisation et la montée d’idées réactionnaires chez les jeunes de populations issues de l’immigration.

Il n’est donc pas question dans cet article de jeter la pierre à tous les militants de chez SUD mais d’alerter sur deux choses :

  • Le danger qu’est l’entrisme islamiste au sein des organisations de gauche.
  • Le manque de connaissances d’un nombre écrasant de militants de gauche sur les divers courants de l’islamisme et sur la radicalisation djihadiste.

    Conseils bibliographiques

    Ces deux problèmes ne sont pas une fatalité, et le combat contre l’islamisme, lorsqu’il est bien compris, ne peut pas déboucher sur des amalgames. Bien au contraire. Je recommande donc à toutes les personnes de gauche de bonne foi et étant réellement contre l’intégrisme religieux de s’informer un minimum sur le sujet pour produire autre chose que des condamnations morales une fois qu’il y a des attentats, c’est-à-dire une fois que c’est trop tard. Je conseille donc quelques ressources pour vous lancer dans ce vaste sujet.

Livres :

  • Hugo Micheron, Le djihadisme français (2020)

  • Gilles Kepel, Terreur dans l’Hexagone, genèse du djihad français (2015)

  • Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme (2020) [une édition augmentée sortira début 2021]

  • Amélie Myriam Chelly, En attendant le Paradis (2016)

  • Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (2020)

  • Hadami Redissi, Une histoire du wahhabisme (2016)

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2 commentaires

  1. Bonjour Camarade Charles,

    Bien que je n’y ai pas de compte, je vous suis sur Twitter depuis le début de l’année. Ex militant LCR, vous êtes à mes yeux le renouveau de cette gauche en laquelle j’ai cru et qui à force de segmentation des combats par esprit de “wokisme” m’a déçue.

    Bien cordialement.

    Un admirateur anonyme.

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