Chacun s’improvise économiste lorsque l’on parle de revenu de base mais qu’en est-il vraiment ?

Aujourd’hui nous allons passer en revue l’idée du revenu de base, sa réalité économique et idéologique… L’idée m’est venue en entendant une énième prise de position de Laurent Alexandre (fondateur de Doctissimo, médecin-entrepreneur) qui n’a plus à prouver sa capacité à tout ramener aux intelligences artificielles. « Le revenu de base, c’est une idée d’extrême-droite qui veut se faire passer pour une idée de gauche. Le but est de relayer les classes moyennes au rang d’entretenus pendant que les élites auront la mainmise sur les intelligences artificielles », singeait-il devant la béatitude d’un mec de Thinkerview.
Pour ce faire je vous propose d’abord une introduction aux économies néoclassiques.

https://www.youtube.com/watch?v=eIsBqozNleQ

1. Les Théories classiques

Avant toutes choses, pour une bonne entrée en matière, il est déjà intéressant de comprendre comment marche la théorie économique dite néoclassique. La théorie classique initiée par Adam Smith (1723-1790) ou David Ricardo (1772-1823) étudie la formation des prix à travers l’étude de l’offre et de la demande sur un marché. C’est une modulation du monde économique très simplifiée que proposent les économistes du XIXème siècle pour présenter cela.

Le schéma est assez explicite, mais détaillons-le ensemble. Dans un repère orthogonal se confondent la quantité, c’est-à-dire la probabilité de fournir l’offre, et le prix plus ou moins élevé. La demande ici représente l’offre de travail, c’est l’entreprise qui souhaite acheter de la force de travail. L’offre représente les agents économiques prêts à employer leur temps de loisir pour le capital. Px et Qx représentent alors le juste milieu, ce qu’on appelle le salaire d’équilibre.

Le principe se fonde sur la flexibilité des acteurs économiques qui, selon la conjoncture de la courbe d’offre et de demande, s’ajustera au salaire le plus juste pour chacun des deux partis. Lorsque les offres de travail se font rares et que les entreprises veulent embaucher, elle sont obligées d’augmenter le salaire pour pouvoir garder leurs employés car le rapport de force est en leur faveur. Lorsque la demande de travailleurs est basse, les offreurs de travail baisseront leurs critères pour pouvoir trouver du travail.

(NB: les prolétaires sont les offreurs de travail, car ils vendent leurs temps de loisir. Les détenteurs de capitaux sont les demandeurs de travail)

 

 

 

 

 

 

 

fig A. Une offre de travail trop élevée par rapport à la demande et le salaire d’équilibre baisse.

fig B. Une demande de travail trop élevée par rapport à l’offre et le salaire d’équilibre augmente. 

 

 

2. John Locke, père du libéralisme

Cette théorie économique peut sembler pleine de bon sens, mais si elle nous semble si logique, c’est bien parce que nous avons toujours vécu dans un monde aux doctrines économiques classiques. Elle a une base tout à fait idéologique, ce qui, en tant que telle, n’est pas un défaut. Le philosophe qui donne caution à ce classicisme est l’Anglais John Locke (1632-1704).
Au XVIIème siècle, la Grande-Bretagne est marquée par des luttes intestines. Les Stuarts souhaitent construire une monarchie qui leur conviendrait en unifiant le pouvoir régalien au religieux. C’est alors qu’on voit naître la première église baptiste anglaise, laquelle se pose en faveur de la séparation de l’Église et de l’État. Des conflits internes éclatent alors entre laïcisme forcé (certains pasteurs sont exécutés) et puritains. Les révoltent grondent entre partisans d’un pouvoir total, ou d’une oligarchie scindée avec le protestantisme. Les protestant finirent par gagner le pouvoir et par instaurer une monarchie absolue de droit divin en 1689.
Locke, en observateur, rédigea deux traités «Two Treatises of Government» sur la politique et la manière de la gérer selon ce qu’il a pu expérimenter au long de l’histoire anglaise du XVIIème siècle.
C’est un philosophe qui se place à l’opposé de la pensée de Thomas Hobbes (1588-1679). Pour Locke, le principe à respecter est la liberté individuelle, laquelle doit être garantie par une autorité. Pour lui, les hommes naissent libres, égaux, et indépendants. Ils sont capables de raison, mais celle-ci est gâchée par les passions. La solution (que l’on retrouvera chez Jean-Jacques Rousseau [1712-1778]), c’est de quitter son état de nature pour admettre la nécessité d’un pouvoir de régulation par la société. Soumis aux passions comme n’importe quel homme, les pouvoirs d’un dirigeant doivent êtres limités. Il en arrive à adopter le principe de résistance légitime du peuple vis-à-vis du pouvoir. Ce qui compte à ses yeux, c’est la responsabilité du peuple. Il ne cherche pas la justesse prônée par l’aristos (« le meilleur » en grec), mais bien que le peuple se sente responsable de l’état actuel des choses. Que celui-ci ne fasse pas le meilleur choix mais bien celui qu’il sera en mesure d’assumer.

Locke considère le sujet doté d’une liberté qui constitue un droit inaliénable. La liberté individuelle, la propriété individuelle, la sécurité des personnes, tout cela doit être garanti par un État libéral. L’État libéral en économie, c’est ce qu’on appelle l’État gendarme, celui qui garantit que les lois sont respectées. On passe à l’État providence lorsque celui-ci se mêle des problèmes inégalitaires, interfère dans les problèmes sociétaux.

3. Pour en revenir au néoclassicisme

C’est donc cette menace empirique du pouvoir totalitaire qui fit émerger chez Locke une notion de responsabilité individuelle chez chaque citoyen. Économiquement, son travail peut se transposer ainsi : un État providence risquerait de faire émerger un planificateur économique qui fixerait les prix arbitrairement; le risque serait que les acteurs économiques, entreprises comme consommateurs, se retrouvent tantôt avantagés, tantôt désavantagés. Pour lui, c’est l’action globale, de masse, les tendances de groupes, qui feront émerger le prix le plus juste : le salaire d’équilibre. La responsabilité est diluée, chacun est responsable au même titre qu’un bulletin dans une urne remplie de milliers d’autres.
C’est donc de cette base idéologique de liberté que viennent les théories classiques de l’économie. Notons qu’elles étaient déjà présentes au cours de l’histoire et qu’elles furent détaillées au XIXème siècle.
Ces théories détaillent tout d’abord que chaque offreur de travail ne souhaite pas travailler. Qu’il préfère avoir le plus de temps libre possible, et qu’il ne donnera son temps que s’il est assez payé en retour. Le demandeur de travail quant à lui cherchera à embaucher le plus possible au prix le plus bas. Cette vision très simplifiée n’a qu’une condition axiomatique : être dans un marché de concurrence pur et parfait.
Cette vision requiert 5 points :

  1. L’homogénéité de facteur de production (on ne prend pas en compte les qualifications, les travailleurs sont interchangeables).
  2. La transparence (chacun est au courant de l’état structurel de l’économie).
  3. Libre entrée et sortie des facteurs de production (aucune rigidité d’embauche ou de licenciement).
  4. La mobilité des facteurs de productions (qu’elle soit sectorielle ou géographique).
  5. L’atomicité (les agents économiques pèsent tout autant les uns que les autres).

Ici, on remarque que les thèses keynésiennes (de John Maynard Keynes [1883-1946]) qui tentent d’amener une régulation portent préjudice à l’autorégulation du marché. La théorie est parfaitement fonctionnelle si ces 5 principes sont respectés. Mais dès lors que par exemple la libre entrée et sortie des facteurs de production se retrouvent complexifiées par des lois d’embauche et de licenciement, alors le marché peine à s’autoréguler.
On peut prendre l’exemple du SMIC pour se le représenter visuellement : les entreprises ne peuvent plus embaucher à n’importe quel prix et les travailleurs ne pourront plus, même si cela leur convient, vendre leurs temps de travail à n’importe quel prix. Cela crée une exclusion d’une partie des agents économiques et empêche le marché de se réguler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La partie grise représente les travailleurs qui ne peuvent se faire embaucher ainsi que l’argent des entreprises qu’elles ne peuvent dépenser.

Prochainement, je développerai pourquoi selon les théories classiques, qui ne sont donc pas marxistes, le revenu de base ou salaire à vie est justifiable et même nécessaire.

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À propos de l’auteur

Amateur de philosophie, et d'histoire politique. Mon travail est avant tout pédagogique pour éviter la pensée de surface.

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