Dans mon précédent article, je lançais l’idée suivante en parlant de l’usage des pierres et mixtures chez les sorcières de Twitter :
“C’est même amusant de voir que ces guignoles usent de pierres et d’herbes en tous genres pour faire des mixtures et jeter des sorts à la manière dont le cannabis fait fonction de rite d’initiation à société capitaliste.”
L’analyse est contestable en elle-même, mais ce qui a retenu l’attention de certains, c’est plutôt cette idée de consommation cannabique envisagée comme un rite d’initiation à la société capitaliste :

Comme ça a l’air d’intéresser quelques personnes, je vais donc expliquer cette idée – qui est de Clouscard – assez brièvement. Dans Le capitalisme de la séduction que j’évoquais déjà dans le précédent article, Michel Clouscard analyse l’avènement de la société libérale-libertaire en partant de l’après-guerre direct et le plan Marshall de soutien des Etats-Unis à la France. Il postule que ce plan de relance et d’aide n’est pas un cadeau mais un potlatch de la plus-value. C’est-à-dire un cadeau, mais pas gratuit, il faudra désormais consommer le mode de vie américain (le fameux impérialisme culturel américain). Cette contrepartie passe par plusieurs étapes que Clouscard appelle des “niveaux initiatiques”, des modes d’entrée dans la civilisation capitaliste, progressifs et surtout : ludiques. Il faut prendre plaisir à y pénétrer, pour ne plus vouloir s’en défaire.

Ces rites sont :
– Premier niveau initiatique : poster, flipper, jukebox.
– Second niveau : jeans, treillis, cheveux longs, guitare.
– Troisième niveau : l’animation machinale.
– Quatrième niveau : le hasch et un certain usage de la pilule.
– Cinquième niveau : la moto, la chaîne hi-fi, la guitare électrique, le Nikon.

Certaines choses vous paraîtront dépassées, plus tout à fait d’actualité, c’est normal, Clouscard écrit cela depuis les années 70. Mais on peut tout à fait actualiser son analyse. Le niveau qui nous intéresse est donc le quatrième. Nous ne parlerons pas de la pilule contraceptive pour nous concentrer sur le hasch. Laissez- moi citer Clouscard dans le texte, peut-être aurez-vous un début d’idée : “Les rejetons de la bourgeoisie ont longtemps pu croire et surtout faire croire qu’ils étaient des maudits, des suicidaires, des héros des ténèbres. Puisque le hasch était la drogue. Et celle-ci la déchéance. Alors qu’ils n’étaient que les pères tranquilles de la consommation marginale.”

L’idée est la suivante : la nature subversive de la drogue en fait une marchandise particulière, “le rituel de la prise consacre sa valeur d’usage”. Contrairement aux drogues dures, on a le sentiment que le hasch n’accroche pas, le bénéfice est double puisqu’on peut se payer une image romantique et contestataire sans les affres de la déchéance physique et morale de ces dernières. Le message se veut aussi politique : “Fumer, ce n’est plus vouloir se détruire. C’est détruire le système.” Pour Clouscard, l’acte d’achat de la drogue est aussi important que la consommation : ce qui attire, c’est que ce soit quelque chose d’interdit et donc de “subversif” et excitant.

On retrouve dans tout ça le mythe du poète maudit, de l’artiste fou etc. Il faut être unique pour exister et la drogue permet de se distinguer de la masse des gens sérieux. Mais il faut se méfier, car à cet usage mondain peut se substituer un usage destructeur, lui-même célébré, romantisé par ce que Debord décrirait comme la “société du spectacle” (Clouscard n’emploie pas ce concept). C’est ainsi qu’on aboutit au camé et au mythe de l’overdose : hier c’était Kurt Cobain, Jimmy Hendrix et j’en passe. Aujourd’hui, c’est Juice WRLD, Lil Peep…

La drogue, et surtout le cannabis, s’est aujourd’hui très largement répandu dans nos sociétés et son usage fait bel et bien office de rite de passage au sein du groupe, constitué comme un moteur d’initiation à la société. Je laisse les derniers mots à Clouscard :

“Ah! La tête du petit-bourgeois à sa première fumette ! C’est qu’il se passe enfin quelque chose. On a créé l’évènement. Quelque chose d’interdit. De dangereux.”

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À propos de l’auteur

Amateur d'art, d'esthétique et de culture, pourfendeur de fans de k-pop.

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