Je précise que toute ressemblance avec certaines associations religieuses aujourd’hui soutenues par la gauche serait tout à fait fortuite.

En 1881, lors des lois sur la liberté de la presse, la France supprime définitivement tout délit de blasphème. Pourtant, même après ça, les courants catholiques les plus intégristes – dont certains excommuniés par l’Église – continuent de militer par d’autres moyens jusqu’à nos jours. Ici, nous nous intéresserons à la période 1970-2020 en France.

Les chouineurs contre le cinéma

Tout d’abord parlons cinéma. En 1984, le réalisateur Jacques Richard sort le film Ave Maria dont l’affiche montre une femme crucifiée avec les seins nus. Mais cela ne plait pas à plusieurs associations catholiques et à leur tête d’affiche Monseigneur Lefebvre : la justice est saisie et l’affiche est interdite sous le prétexte fumeux qu’elle n’aurait rien à voir avec le film. La justice fait donc une concession aux intégristes catholiques dans le contexte d’une année où les réactionnaires catholiques réussissent à lever les foules contre le projet de loi Savary, vu par beaucoup comme menaçant pour l’enseignement privé et notamment l’enseignement catholique. François Mitterrand finit par annuler le projet de loi. Le laxisme et les concessions de l’État à des religieux ronchons ne datent malheureusement pas d’hier.

Quatre ans plus tard, en 1988, Martin Scorcese sort La dernière tentation du Christ qui fait polémique dans tous les pays occidentaux et ce avant même sa sortie. Les cardinaux Albert Decourtray et Jean-Marie Lustiger disent dans un communiqué :

« Nous n’avons pas vu le film de M. Scorsese, La dernière tentation du Christ. Nous ignorons la valeur artistique de cette œuvre. Et cependant, nous protestons d’avance contre sa diffusion. Pourquoi ? Parce que vouloir porter à l’écran, avec la puissance réaliste de l’image, le roman de Níkos Kazantzakis est déjà une blessure pour la liberté spirituelle de millions d’hommes et de femmes, disciples du Christ. Ils réclament le respect pour ce qu’ils ont de plus précieux au monde : leur foi dans le Christ qui meurt sur la croix. »

Et c’est très intéressant, car on voit là que déjà à l’époque la droite catholique considère que la « blessure » subie par des croyants entendant un discours ou voyant une œuvre suffit à interdire ce discours ou cette œuvre par principe. C’est ce discours capricieux qui sera repris plus tard par les intersectionnels qu’on connait aujourd’hui ainsi que par les islamistes et autres militants « contre l’islamophobie ».

La justice française autorise la sortie du film en septembre 1988 malgré la protestation de nombreuses associations catholiques, mais un mois plus tard, en octobre, un cinéma qui projette le film subit un incendie criminel qui fait dix blessés. Si Usul avait vécu à cette époque, j’imagine qu’il aurait dit quelque chose du genre :

« Les incendies c’est d’une confondante banalité, tiens parlons par exemple de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes en 1972. Tous les chercheurs sérieux du Vatican ont étudié la cathophobie et disent que c’est la mutation d’un vieux racisme ! Martin Scorcese a un discours d’extrême-gauche et dans deux ans il sera sur une liste maoïste. Et puis il y a des cathos qu’on a chauffés à blanc, ils ne peuvent rien faire contre Daniel Cohn-Bendit qu’ils voient sans arrêt la télé donc ils s’attaquent à un cinéma. Moi là-dedans j’ai envie de défendre personne. »

Toujours en octobre 1988, le réalisateur Claude Chabrol sort son film Une affaire de femmes. Les associations catholiques et le Vatican montent au créneau pour des dialogues jugés blasphématoires et une salle de cinéma de Montparnasse projetant le film est attaquée au gaz lacrymogène, ce qui provoque le décès d’un spectateur par crise cardiaque. L’association intégriste Centre Charlier revendique l’attentat.

Toujours le même mois, des associations catholiques perturbent les projections du film Je vous salue, Marie de Jean-Luc Godard après que la justice ait autorisé la diffusion du film malgré leur tentative de le faire censurer par voie judiciaire.

À partir des années 90, c’est contre les blasphèmes publicitaires que les intégristes catholiques luttent, toujours en passant par la voie du harcèlement judiciaire. La justice ayant des choses plus importantes à gérer que des caprices d’adultes infantiles, elle va souvent répondre à leurs réclamations par un classement sans suite. En février 1998, ils gagnent tout de même une fois : Volkswagen sort une publicité parodiant La Cène. Un accord est trouvé entre les religieux et Volkswagen pour éviter un procès. Volkswagen aurait sûrement gagné en justice, mais avait autre chose à faire que d’investir du temps là-dedans ainsi que de l’argent qui ne sera retrouvé qu’une fois le procès gagné. C’est en cela que fonctionne le harcèlement judiciaire : le but des intégristes n’est pas de gagner le procès, il est de vous faire perdre votre temps. Et surtout, d’espérer que vous préfériez vous autocensurer que de perdre du temps dans des démarches judiciaires longues et peu intéressantes. Le harcèlement judiciaire peut aussi consister à menacer des personnes de procès en inventant des lois qui n’existent pas, en mentant par omission sur certaines lois ou en oubliant de mentionner des jurisprudences. Le but est de faire peur à quiconque n’y connait rien en droit et n’a pas de personne ayant fait des études de droit dans son entourage. Cette pratique est de plus en plus répandue sur les réseaux sociaux.

La naissance de l’AGRIF

Le harcèlement judiciaire est la spécialité de l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF), une sorte de version catholique du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) mais sans la proximité avec des terroristes et sans le soutien de la gauche. Bref, une association de chouineurs comme il y en a aujourd’hui pour toutes les communautés, mais beaucoup de gens oublient que ce militantisme de chouineurs professionnels prétendant représenter une communauté existe à droite même si on en entend moins parler. L’AGRIF est issue du Front National et a été fondée en 1984. L’association se présente comme combattant « le racisme antifrançais et antichrétien, la pornographie et les atteintes au respect de la femme et de l’enfant » et dit utiliser les lois contre les discriminations à ces fins. Dans mon précédent article sur le CCIF j’ai expliqué comment les intégristes musulmans tentaient de faire passer l’ « islamophobie » pour une forme de racisme afin de rendre leur religion intouchable, réclamer des aménagements spécifiques venant des institutions publiques ou des entreprises (en cas de refus ça veut dire qu’elles sont islamophobes donc racistes) et à légitimer un délit tacite de blasphème. Eh bien avant le CCIF et toute la bande de joyeux lurons islamistes, le Front National faisait exactement pareil pour le catholicisme par le biais de l’AGRIF aux côtés d’évêques catholiques et de la Fraternité Pie X.

Dans le genre harcèlement judiciaire de l’AGRIF, on peut prendre par exemple leurs campagnes contre Charlie Hebdo. L’AGRIF attaque trois fois Charlie pour des dessins critiquant le clergé, et l’AGRIF perd trois fois. Ils gagnent seulement une fois en 2005 lorsque Charlie rappelle une condamnation du chef de l’AGRIF pour laquelle il avait été par la suite relaxé.

En février 2005, la conférence des évêques chouine à cause d’une publicité des créateurs de mode Girbaud inspirée de La Cène de Léonard de Vinci et dans laquelle Jésus et les apôtres sont des femmes. Pour l’épiscopat, « les croyants ne peuvent se sentir que blessés », comme toujours on est dans la logique comme quoi les lois doivent se plier aux sentiments des citoyens s’estimant blessés à un instant t. Le 8 avril 2005 la justice cède honteusement à ces chouineries et considère que cela est une « intrusion agressive […] dans le tréfonds des croyances intimes ». La justice n’a donc pas attendu Nicole Belloubet pour céder aux caprices des intégristes.

Une dérive juridique européenne

En France, René Pleven a fait une loi à son nom contre la haine raciale en 1972, sur les conseils du député du Parti Socialiste René Chazelle. Pleven la vantait en disant :

« Avec ce texte, la France sera, à ma connaissance, le premier pays du monde à avoir une définition aussi extensive de la discrimination dans ses lois pénales. »

La gauche de gouvernement puis la gauche intersectionnelle voulant considérer toujours plus de choses comme relevant de la discrimination pour justifier de nouveaux combats ont ouvert la voie à l’intégrisme légaliste, c’est-à-dire un intégrisme religieux qui se pare de l’apparence d’un légalisme afin de se cacher derrière les lois de la République pour mener un harcèlement judiciaire et des magouilles politiques avec des pressions sur les institutions. La droite catholique a sauté sur l’occasion, sans savoir qu’elle-même ouvrirait la voie à son équivalent islamiste… islamistes légalistes qui sont aujourd’hui soutenus par une partie la gauche. La boucle est bouclée.

Aujourd’hui, les mesures législatives débiles continuent d’arriver avec la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui demande à la France et à la Belgique de limiter la liberté d’expression sur les questions religieuses afin de « garantir la paix religieuse ». La CEDH a par ailleurs condamné une autrichienne qui a critiqué l’Islam en parlant de la relation du prophète Mahomet avec Aïcha, son épouse favorite qui aurait eu entre 6 et 7 ans lors de son mariage et encore 9 et 12 ans lors de son dépucelage, selon des sources musulmanes. Et imaginez bien qu’ils comptent davantage raboter les libertés des athées, des agnostiques et des déistes que celle des monothéistes.

Mais qui va donc renfermer la boîte de Pandore de la victimisation ouverte dans les années 70, qui laisse libre-court à toutes les pires dérives intégristes ? Sûrement pas la gauche, qui épouse de mieux en mieux cette tendance plutôt que de la remettre en question.

 

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