Cet article de Marianne est drôle pour deux raisons : d’une part, son ironie mordante et d’autre part les réactions qu’il a suscitées, c’est-à-dire des réactions indignées. On aime tous s’indigner, c’est un petit plaisir coupable.

Ces réactions indignées à la simple vue de la phrase “éloges mérités tant la chanteuse se révèle être la digne héritière de Baudelaire” traduisent elle-même deux choses : on se contente souvent d’un titre et d’un extrait aguicheur et sans même avoir lu l’article, et on le fustige. Surtout, le relativisme artistique et culturel nous a tellement habitués à lire des choses saugrenues dans la presse que ce titre a paru plausible à un grand nombre d’entre nous. Ça me rappelle l’époque ou j’astiquais les fans de k-pop et qu’ils me répondaient que “tout se vaut”.

Mais ce n’est pas mon propos, nous n’allons pas débattre de la notion de beau aujourd’hui. Ce qui m’a frappé, plus que la comparaison avec Baudelaire (qui est drôle) c’est l’argument couramment utilisé pour faire l’éloge de la chanteuse : l’argument numérique. Déjà cet été, Le Figaro avait publié un article qui faisait état du nombre d’auditeurs de la chanteuse sur les plateformes de streaming, plus de douze millions. Il y a une semaine, toujours Le Figaro publiait un article qui faisait état de l’influence de la jeune femme dans l’évolution de la langue avec en exergue, toujours le même constat numérique :

Pour introduire Aya Nakamura, on prend toujours soin de rappeler que c’est la chanteuse française la plus écoutée dans le monde, c’est en vertu de cela qu’elle influence la langue de Molière donc et qu’elle est notre ambassadrice. Elle n’est pas ambassadrice désignée (désirée ?) mais ambassadrice par défaut, car c’est elle qui remporte les suffrages populaires que sont les “écoutes” sur les plateformes de streaming. Ça rend très triste l’Académie Française qui pointe un appauvrissement de la langue. L’Académie est ici dans son rôle de vecteur de normes, elle veut la belle langue, là où les linguistes produisent une analyse linguistique tout à fait normale en partant du constat que c’est l’usage qui fait la langue. Que l’Académie se rassure, la belle langue sera toujours un signe de distinction que la haute bourgeoisie conservera jalousement. Mais tout ceci sera l’objet d’un autre fil. Revenons à notre sujet.

Derrière l’argument numérique du nombre d’écoutes, il y a – en sous texte – celui des ventes et des bénéfices produits. Si Aya Nakamura est une grande artiste ce n’est pas pour la qualité de sa musique et de ses paroles mais parce qu’elle rapporte du fric. C’est la traduction d’un paradigme dans lequel l’art est soumis à l’économie, et pour être honnête ça ne date pas d’aujourd’hui, on retrouve déjà ce paradigme au XXe siècle avec l’arrivée d’une culture de masse, et même au XIXe siècle cela commençait déjà dans une autre mesure. Voilà ce que dit le musicologue et philosophe Dominique Pagani à ce sujet :

Le Hit Parade, les classements par écoutes ou par ventes, la mise en compétition des artistes via des cérémonies et des suffrages populaires (NRJ Music Awards et autres fadaises) en sont des exemples. Ce succès lui vaut ainsi un passe-droit linguistique de la part de journaux conservateurs, même si les plus virulents se permettent ce genre d’attaque camusienne :

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À propos de l’auteur

Amateur d'art, d'esthétique et de culture, pourfendeur de fans de k-pop.

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1 commentaire

  1. Cette adoration énamourée de cette chanteuse est le nom habituel de l’acculturation des masses par la culture industrielle à son plus bas niveau…! De la soupe servie pour tuer tout goût du style et de l’expression, tout goût de la poésie et de la musique, pour faire perdre de vue toute possibilité de subversion à travers l’expression artistique… Adorno avait très bien fait le distingo entre culture populaire authentique et culture de masse: la tragédie étant que les classes populaires se font voler leur culture par la petite bourgeoisie, et se la font remplacer par de la soupe commercialisable…

    Bref témoignage : au centre de loisirs qu’elle fréquente, lorsque ma fille de 8 ans demande que, dans un jeu de reconnaissance musicale, on varie les morceaux (de la soupe dont Trucmuche) car elle ne connait ni n’aime, l’animateur lui oppose un non ferme et bien peu pédagogique, bien peu conforme aux méthodes de l’éducation populaire dont ose se réclamer la mairie communiste par pu conformisme idéologique… Où l’on voit comment, au sein des classes populaires, l’inculture et le mauvais goût se transmettent de génération en génération, au profit des classes dominantes et aussi de la petite bourgeoisie qui a des classes pop sans défense et malléables sur le plan idéologique…

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