Les libéraux-libertaires ont toujours tendance à nier la mécanique du déterminisme social quand ça les arrange. Si on les écoute, tout n’est qu’une question de choix individuels qu’il faut respecter en vertu de la liberté à disposer – ici – de son corps.
LA PROSTITUTION EST UN MÉTIER COMME UN AUTRE c'est le corp des gens LEUR corp pas les votres
— سارة (@sxramrq) 23 novembre 2020
Ces libéraux-libertaires se veulent ainsi “de gauche” puisqu’ils prétendent – parfois sincèrement – s’ériger contre les entraves de la société traditionnelle, patriarcale, sexiste, raciste, etc. Le seul problème, c’est que leur idéologie idéaliste a tendance à nier le déterminisme social donc, se mue en libéralisme économique. Sans même s’en rendre compte – car ils n’ont pas toujours la culture politique idoine – ils sont tout ce qu’il y a de plus libéral sur les questions économiques.
Nous sommes face à des gens culturellement progressistes, puisqu’ils luttent culturellement contre les forces réactionnaires et certaines superstructures traditionnelles, mais dont le progressisme ne sert qu’à nourrir un système économique qui est celui du capitalisme. En effet, quand on prône ainsi le libre-arbitre à longueur de temps, on n’est plus “très” à gauche. On devient libéral.
Plus précisément, il faut reconnaître que ces gens représentent une nouvelle gauche qui a vu le jour à partir des années 50 – suite au Plan Marshall et à ce que Clouscard appelle le “Potlatch de la plus-value” – et qui a explosé à partir des années 70. C’est une gauche qui a délaissé peu à peu l’électorat ouvrier et les questions économiques au profit de questions avant tout culturelles et morales. Ainsi, ils ciblent à la fois un électorat plus éduqué, plus bourgeois, plus lisse et plus docile sur le plan économique, mais aussi des minorités marginalisées par des normes sociales établies. Ils sont de gauche donc sur le plan culturel, mais la gauche libérale et capitaliste.
Ce qui est amusant, c’est leur discours qui consiste à renvoyer toute forme de contestation à leur idéologie dans les ténèbres du rouge-brunisme ou du fascisme. “Il n’y a pas d’alternative”, c’était les mots de Thatcher, mais les libéraux-libertaires pourrait en faire les leurs : “Vous êtes avec nous (progressistes) ou contre nous (fascistes, réactionnaires, etc).” Puisqu’ils pensent avant tout la politique par la morale et les questions culturelles, ils ont du mal à produire autre chose qu’une idéologie identitaire et moralisatrice, comme la vieille droite catholique d’antan mais avec un tout autre système de valeurs. Ce découpage binaire du spectre politique, qui se base avant tout sur des questions culturelles et fait largement fi de l’économie est pratique en ce qu’il enjoint à choisir entre les “gentils” et les “méchants”. J’ai déjà largement expliqué en quoi ce manichéisme et l’utilisation abusive d’épouvantails tels que le “fascisme” supposé des autres sont à la fois délétères et détestables. C’était dans les trois articles suivants : celui sur la pureté idéologique, celui sur Pasolini et le fascisme, et celui sur l’art, le fascisme et les wokes.
Pour revenir à notre exemple initial sur la prostitution, il ne faut pas se laisser avoir par leurs messages de tolérance aux choix car bien souvent – et même si la prostitution peut exceptionnellement être un choix – il s’agit d’un discours qui efface le caractère subi des événements. Ils font de leurs choix une vérité absolue, comme si la prostitution en l’occurrence, était une activité voulue et contrôlée par la seule concernée. C’est un mensonge de a bourgeoisie de gauche. En réalité ce sont eux les conservateurs, ils le sont sur le plan économique et se rapprochent au moins en partie de ce que Marx et Engels désignaient comme des socialistes bourgeois dans Le manifeste du parti communiste :
Une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise.
Dans cette catégorie, se rangent les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s’occupent d’améliorer le sort de la classe ouvrière, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, bref, les réformateurs en chambre de tout acabit. Et l’on est allé jusqu’à élaborer ce socialisme bourgeois en systèmes complets. […]
Les socialistes bourgeois veulent les conditions de vie de la société moderne sans les luttes et les dangers qui en découlent fatalement. Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat. La bourgeoisie, comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu’il somme le prolétariat de réaliser ses systèmes et d’entrer dans la nouvelle Jérusalem, il ne fait que l’inviter, au fond, à s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait.
Une autre forme de socialisme, moins systématique, mais plus pratique, essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’Etat.
Le libéralisme-libertaire est même pire que le socialisme bourgeois du XIXe siècle décrit par Marx et Engels. Les libéraux-libertaires ne tentent pas toujours de “porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise”. Comme dans notre cas, ils tentent parfois de déguiser les anomalies sociales en un progressisme. Il suffirait selon eux, de revendiquer cette anomalie sociale comme consécutive du libre-arbitre pour en faire un progressisme. Nous ne sommes pas dupes.