Texte écrit entre le 9 août 2020 et le 23 août 2020.

Petit état à l’ouest de la Pologne et de la Lituanie, la Biélorussie (en français, même s’ils préfèrent que l’on utilise le nom Belarus) a depuis 1994 à sa tête le président Alexandre Loukachenko très lié à la Russie et à l’est (il existe une union entre les deux pays depuis 1997). Loukachenko aurait permis à son pays, en conservant une base communiste et soviétique, de ne pas connaître l’effondrement de l’URSS d’après 1991.

 

Le 9 août 2020 s’est tenu en Biélorussie une élection entre le président Loukachenko en place depuis 26 ans et une opposition menée par Svetlana Tsikhanovskaïa (au centre de la photo).


Dès la fin des élections, truquées, les gens ont pris la rue dès le dimanche 9 septembre et le président a envoyé grenades, tirs de flashball et canons à eau. Les soldats semblent avoir tiré sur la foule des manifestants. On dénombre 7000 arrestations et des centaines de blessés. Les arrestations et les tabassages ont ensuite été employés par la suite. On dénombre, le 22 août, 5 morts.

Assassinat d’Alexander Taraikovsky.

Les jours suivants les principales usines et constructeurs du pays (MAZ, MZTK, etc) sont entrés en grève.

 

Le vendredi 14 août, des manifestants sont venus devant le parlement et les OMON ont décidé de baisser les boucliers (vidéo prise place de l’Indépendance à Minsk).

 

Le dimanche suivant, des centaines de milliers de manifestants dans tout le pays ont répliqué aux menaces du président en sortant dans les rues des principales villes (Minsk, Brest, Gomel, Orcha, Moguilev etc). Le dimanche 17, les grèves ont repris et les mineurs s’y sont joints tandis que le président tentait de renouveler le dialogue en faisant un meeting devant les grévistes de MZKT à Minsk, la première entreprise du pays. Des manifestations organisées par le pouvoir ont aussi eu lieu.

Lors de sa prise de parole à l’usine, internet et les VPN ont été coupés dès les premiers cris contre lui. Ces événements ne tiennent pas le haut du pavé bien qu’ils se passent en Europe. Peut-être est-ce trop pacifique et gréviste pour les médias comme BFM ?

 

Quoique l’on a pu voir BHL se pavaner à Vilnius où la candidate de l’opposition s’est réfugiée (photo à gauche). Mais les Biélorusses semblent se désintéresser de sa présence et de la position de la France dans l’affaire. La Pologne semble, quant à elle, jouer un rôle d’intermédiaire, proposant son aide aux réfugiés politiques et une augmentation des sommes données au pays pour lui permettre de se défaire de la tutelle russe. Le pays est aussi à l’initiative des principaux médias d’opposition.

Internet est une arme de poids pour l’opposition. Belsat, NEXTA ou Svoboda ont joué un rôle non négligeable dans la retransmission des informations de l’opposition et de la lutte qui s’est engagée dans le pays. Telegram permet aux gens de partager les infos et leurs avis même quand l’état décide de couper VPN et internet. On peut, par leur financement polonais ou américain, y voir une ingérence étrangère. BT, première chaine d’état, est partiellement entrée en grève.

Internet a donc été coupé dès que les premiers cris « Loukachenko démission » sont apparus, lundi 17 août. Trois jours après, le 21 août, l’état a décidé de couper l’accès à ces médias que le pouvoir croit être responsable de la mobilisation. Le travail de propagande arrive à son paroxysme avec hautparleurs dans les rues et hélicoptère avec le drapeau qui survole la capitale tous les jours. Policiers encadrant la place des héros de la ville à Minsk alors que des chansons soviétiques sont envoyés par hautparleurs lors de la manifestation du 23 août (photo).

Le 23 août, alors que la foule se trouve devant le palais de l’indépendance, face à une barrière de policiers/soldats avec canons à eau et blindés, le président arrive en hélicoptère d’où il sort kalachnikov en main. La ville est bouclée par la police. Les manifestants pacifiques crient qu’ils reviendront chaque jour dans la rue.

Retour en 1950!

Le pouvoir aux abois ne tient que grâce à sa police et à la Russie. Jusqu’à quand Poutine va-t-il soutenir Loukachenko alors que le dirigeant russe voudrait lui aussi s’en débarrasser ?

La retransmission de ce que je peux trouver en ligne et de la traduction que je peux en faire a montré qu’une part non négligeable des communistes ont tendance à critiquer l’opposition au président en place malgré les morts et la répression policière.
Ils reprennent souvent la rhétorique du pouvoir, Loukachenko accusant les manifestants d’être soit des chômeurs avec casier judiciaire, soit des alcooliques, soit des agents à la fois de la république Tchèque, de la Pologne, de la Lituanie ou encore des USA ou encore des euromaidans ukrainiens déguisés (photo en dessous). La droite française, quant à elle, admire un président autoritaire aidé par la Russie.



Jusqu’aux élections, la Russie était vue par les manifestants comme une possibilité pour une sortie de crise rapide puisque, depuis quelques temps, Poutine ne semblait plus pouvoir compter sur Loukachenko qui avait tendance à se rapprocher de l’UE et de l’OTAN.
Poutine est contraint maintenant de maintenir son allié puisqu’il ne voit pas d’autre alternative pour l’instant, même si sur le long terme, Loukachenko ayant perdu le soutien du peuple, ne pourra rester en place. Poutine verrait même l’occasion de mettre une personne plus docile. Ne nous éternisons pas sur la géopolitique, revenons à la position française. Que pense Macron ? Il soutient évidement les manifestants et l’opposition. Dès le début, il a appelé Poutine tandis que la Pologne proposait de jouer les intermédiaires entre les factions. Avec Merkel en Allemagne, il a soutenu les sanctions contre le pouvoir Biélorusse (mais qu’est le poids des sanctions face à une Biélorussie qui dépend majoritairement de la Russie ?)

Mais qu’en est il de l’opposition populaire de gauche en France ?
Étrangement elle est pour le pouvoir en place. Les raisons en sont simples, ils reprennent la propagande de Loukachenko. Ils imaginent un scenario à l’Ukrainienne alors que les différences sont plus que notables.

Mais cela soulève une question ? Tous les mouvements sont vus pour une certaine gauche en France comme des menaces de l’impérialisme américain et de l’ingérence étrangère, alors que les images montrent un peuple soudé et des ouvriers en grève. Aucun appel à l’aide extérieur n’est encore apparu même si une des candidates fait des vidéos depuis la Lituanie et que BHL est venu la voir.

La gauche française a pourtant soutenu les révoltes récentes au Liban, en Algérie ou dans les pays d’Amérique latine. Sans pour autant y voir une ingérence française ou américaine.
Mais le problème, c’est leur vision de la manifestation et de la souveraineté. La souveraineté est devenue une insulte pour des militants de gôche alors que la libération d’un peuple ne peut se faire que par le recouvrement de sa souveraineté. Ils ne peuvent pas cautionner les insultes de Loukachenko envers les travailleurs, de même sa lubie militaire contre son peuple ?

Les manifestants Biélorusses ont repris la rue : sortant tous les soirs après le travail,  se plaçant le long des routes en faisant des signes de victoire, ou en criant à la démission du président et des « vive la Biélorussie ! » (photo à droite). Les automobilistes (les taxis ayant joué un rôle important au début de la mobilisation) klaxonnent ou bloquent les artères de la capitale. Ces nouvelles formes de manifestations rappellent les gilets jaunes et les ronds-points, même si les comparaisons ne peuvent aller plus loin. Les Biélorusses ont suivi et se rappellent sûrement les manifestations sur les Champs à Paris en 2018-2019.

Les militants lib-lib ou bobos internationalistes (je ne sais plus trop comment les qualifier) ne peuvent imaginer un peuple pouvant se mobiliser sans eux et sans mouvement ou parti simplement sur la volonté de changement. Mais n’était ce pas le cas en France avec les gilets jaunes ? La gauche a été réticente à les rejoindre car elle ne pouvait envisager qu’une lutte ne soit pas initiée par eux mais bien prenant comme base les réseaux sociaux.


Les communistes français reprennent donc la rhétorique de l’ingérence et de la manipulation, lecture proposée par Loukachenko. Ils sont plus à l’aise à appeler à soutenir “Black Lives Matter” aux USA que le souverainisme dans les pays de l’Est. Il faut donc oublier ces communistes de pacotille qui n’ont pas su rejoindre le mouvement gilet jaune en France au moment où il fallait, en croyant la rhétorique du pouvoir. Il faut prôner la libération des peuples par les peuples et le souverainisme. Les réseaux sociaux permettent l’unification des colères, n’est-elle pas la nouvelle forme de syndicalisme ou d’unification des luttes loin des organisations archaïques ?

 

Auteur/Autrice

À propos de l’auteur

Docteur en histoire de l'art.

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