Ils aiment tous s’en réclamer, des libéraux qui y voient un mouvement contre les taxes aux communistes s’appropriant un mouvement qu’ils considèrent comme une démonstration de la lutte des classes opposant prolétaires et bourgeois. Macron lui-même a tenté audacieusement de s’en revendiquer, déclamant “Si être Gilet Jaune c’est vouloir moins de parlementaires et que le travail paie mieux, moi aussi je suis Gilet Jaune !”. Notre Président ne manque visiblement pas de hauteur d’esprit en réussissant à être à la fois Gilet Jaune, maoïste, gauchiste post-moderne, libéral, bonapartiste, gaulois réfractaire, et épidémiologiste. Au moins il est quelque chose, il n’est pas un fainéant. Bref, revenons-en au sujet.
Si chaque bord politique tente de se réclamer de ce mouvement c’est d’abord parce qu’il s’agit du mouvement le plus massif et dynamique de ces dernières années, mais surtout parce que peu de gens se sont attachés à le définir, à commencer par les Gilets Jaunes eux-mêmes qui ont toujours refusé toute étiquette politique. Du côté des médias le discours était globalement le même; après avoir tenté d’en faire un mouvement d’extrême-droite, ce qui a échoué, ils se sont attachés à une stratégie bien plus efficace qui était d’en faire un mouvement confus, qui ne savait pas ce qu’il voulait (Difficile de faire plus clair que “Macron démission” pourtant). Ainsi, en dépeignant des personnes confuses, contradictoires dans leurs revendications, ils refusaient aux Gilets Jaunes d’être considérés comme une opposition efficace et légitime, et permettaient à chacun (particulièrement le gouvernement) de ne se concentrer que sur les revendications qui les intéressaient. De même, ils ont choisi quels leaders mettre en avant, pour ensuite les démonter. Cette stratégie n’a, hélas, que trop bien marché, scindant le mouvement, faisant fuir la droite de celui-ci par la peur de le voir récupéré par les gauchistes (à tort ou à raison d’ailleurs, mais ce n’est pas en fuyant un mouvement qu’on empêche la gauche de s’en emparer). Tout ceci nous mène à la situation actuelle, qui est qu’au final chacun a sa vision de ce qu’étaient les Gilets Jaunes, souvent fausse (particulièrement pour ceux n’y ayant jamais participé). Qui étaient alors les Gilets Jaunes ? C’est la question à laquelle je vais tenter de répondre ici.
Sur les soutiens des Gilets Jaunes au début du mouvement
Tout d’abord, qu’appelle-t-on “Gilets Jaunes” ? Parce que nous parlons tout de même d’un mouvement qui était soutenu par 60 à 80% de la population française selon les sondages officiels (voir mon thread Twitter sur le sujet ici ou un article Wikipédia recensant tous les sondages ici), ce qui ferait quand même beaucoup de Gilets Jaunes à analyser, et ne serait pas vraiment représentatif de la réalité du mouvement. On pourrait aussi restreindre les Gilets Jaunes aux manifestants arborant ledit gilet, mais dans ce cas ce serait oublier tous ceux qui ont aidé ce mouvement à naître sur les réseaux sociaux, ceux qui apportaient du soutien matériel ou psychologique aux militants sur les ronds-points, et ce serait comptabiliser ceux qui ne manifestaient pas par conviction mais simplement pour le plaisir du chaos ou du vol des commerces. Il reste donc un seul moyen, bien qu’imparfait, de recenser les Gilets Jaunes, c’est de considérer qu’être un GJ c’est un état d’esprit, une volonté commune animant une large partie de la population, voire même, comme je le fais, que les Gilets Jaunes sont un peuple, ou a minima l’expression de celui-ci. Ainsi, pour décrypter le mouvement il faut sonder ceux qui se considèrent comme Gilet Jaune, évitant ainsi l’écueil d’une définition trop large en même temps que celui d’une définition trop restreinte.
Cependant, cela n’empêche pas de faire un tour d’horizon de ceux qui soutiennent ce mouvement sans y prendre part, car au final c’est le soutien populaire qui fait trembler les gouvernements davantage que la virulence d’une manifestation. Ou plutôt, les gouvernements tremblent lorsque soutien populaire ET virulence sont associés, ce qui était précisément le cas ici. De plus, les soutiens permettent également de mieux comprendre les manifestants et leur sociologie, car les deux sont liés. Qui sont alors ces soutiens ? Sans grande surprise pour ceux qui ont lu La France périphérique de Christophe Guilluy, le mouvement des Gilets Jaunes émerge des petites agglomérations et le soutien y est plus fort que dans les grandes métropoles. Si le soutien est plus élevé en périphérie ce n’est pas uniquement pour des raisons idéologiques, c’est également parce que celle-ci est bien plus dépendante de la voiture, et donc de l’essence : A 3 jours de la première manifestation, la différence entre Paris et le reste de la France est frappante. Sans compter la sympathie, seulement 35% des Parisiens soutiennent le mouvement contre 57% des habitants des communes rurales et 48% des habitants des communes urbaines, tandis que l’opposition au mouvement double littéralement entre Paris et les communes rurales, selon ce sondage IFOP datant du 14 novembre. Il faut différencier soutien et sympathie, qui sont deux catégories distinctes dans le sondage. Bien que cela change peu de choses aux résultats dans la plupart des cas, ça aura son importance lorsque nous en viendrons à parler des bords politiques. 77% des Français dépendant de la voiture ont une opinion positive de la mobilisation à venir (dont 23 points de pourcentage qui ont simplement de la sympathie) contre seulement 51% des non-dépendants (19 points de pourcentage de sympathie). Ce sondage est intéressant car il est assez complet et a lieu quelques jours seulement avant la première manifestation, permettant de cerner le profil des soutiens originels, nous allons donc nous y attarder un peu.
C’est au niveau de la proximité politique des soutiens aux Gilets Jaunes que le sondage est particulièrement intéressant, on y voit une très nette surreprésentation des personnes se considérant proches du Rassemblement National, qui soutiennent (et je parle bien de soutien, pas de sympathie) le mouvement à 70% (68% pour ceux ayant voté RN en 2017) contre 56% pour les individus proches de la France Insoumise (45% pour ceux ayant voté FI en 2017). Ce sont les deux catégories les plus importantes soutenant les Gilets Jaunes (sans compter Debout La France et ses 66% de soutiens), auxquelles viennent s’ajouter Les Républicains (55%), ceux ne s’estimant proches d’aucune formation politique (49%), EELV (41%), le PS (39%), LREM (18%) et enfin le MODEM bon dernier avec ses 15% de soutiens. Si on ajoute la sympathie en revanche nous nous retrouvons alors avec le PS atteignant 79% (!) d’opinions positives sur les Gilets Jaunes et passant troisième du classement, derrière le RN et DLF. De manière générale, la gauche a beaucoup plus de sympathie pour le mouvement que la droite, qui elle le soutient directement, se montrant ainsi très précautionneuse face à une mobilisation qu’elle ne contrôle pas et qu’elle suspecte (à raison) de pencher fortement à droite.
Au niveau de la division sociale du soutien au mouvement, les résultats peuvent surprendre. Ici, la fracture se trouve non pas entre PCS+ et PCS- mais entre les cadres/professions intellectuelles supérieures (29%) auxquels s’ajoutent les professions intermédiaires (35%) face aux PCS- (58%) et aux travailleurs indépendants (54%), pourtant membres des PCS+. De plus, le soutien est stable des chefs d’entreprises (45%) aux salariés du privé (46%) en passant par les actifs en activité (46%). Le seul chiffre se démarquant étant celui des chômeurs, avec 56% de soutien. Le clivage générationnel est assez peu visible et se voit surtout au niveau des moins de 18 ans et des plus de 65 ans avec des différences faibles de l’ordre des 5 points de pourcentage.
Sur les Gilets Jaunes en eux-mêmes
Voilà quel était l’état du soutien aux Gilets Jaunes avant les premières grandes mobilisations, à présent étudions tout d’abord la composition des Gilets Jaunes une fois le mouvement lancé. Si l’on se base sur ce sondage datant du 28 novembre, soit près de 11 jours après l’Acte I, et 4 jours après l’Acte II, 20% des Français se considèrent comme Gilets Jaunes auxquels s’ajoutent 54% de soutien non-GJ et 25% ne soutenant pas et ne se considérant pas Gilets Jaunes. Sans surprise là encore on trouve une forte représentation des communes rurales, qui comptabilisent 27% d’habitants se déclarant GJ contre 18% pour les communes de 100 000 habitants et plus, et 12% pour l’agglomération parisienne. De manière assez notable, étonnante, les communes d’entre 20 000 et 100 000 habitants se démarquent avec seulement 14% d’habitants se déclarant GJ. On notera également que les personnes aisées se considèrent davantage Gilets Jaunes (13%) que les Parisiens (12%). Je ne développerai pas outre mesure mais bon les Parisiens… Enfin vous m’avez compris. La séparation entre diplômés GJ (12%) et non-diplômés hors baccalauréat (26%) se trouve dans les mêmes ordres de grandeur.
La principale différence, des plus remarquables, se situe au niveau des orientations politiques. Alors que les Gilets Jaunes ayant voté Mélenchon, Fillon et ceux s’étant abstenus/vote blanc sont au coude à coude(chacun ayant, respectivement, 20%, 16% et 18% d’entre eux se déclarant GJ), les électeurs de Marine Le Pen sont 42% (quarante-deux pour cent) à se déclarer Gilets Jaunes, soit plus du double des électeurs France Insoumise ! Cela montre assez bien que le discours sur des Gilets Jaunes qui seraient abstentionnistes. Si l’on rapporte cela aux nombres d’électeurs du premier tour de la présidentielle de 2017, nous nous retrouvons avec environ : 3 224 976 GJ ayant voté Marine Le Pen, 1 411 990 GJ ayant voté Jean-Luc Mélenchon, 1 228 559 GJ ayant voté Fillon, 2 075 002 GJ s’étant abstenus, et 206 219 GJ ayant voté Hamon (les chiffres ne sont pas donnés pour les autres candidats). Cela donne environ (sans compter les autres candidats, dont le principal serait Debout La France) 8 146 746 Gilets Jaunes, dont 4 453 535 se déclarent de droite (là encore sans compter DLF, massivement GJ également), c’est-à-dire une mobilisation de 54,67% de droite, 19,86% de gauche et 25,47% d’abstentionnistes/votes blancs. On est assez loin d’un mouvement abstentionniste, de gauche, ou composé d’apolitiques. En 2017, Mélenchon faisait 14,84% des inscrits (chez les GJ il fait moins, en comptant DLF et les autres, de 17,33%), Fillon faisait 15% des inscrits (chez les GJ il fait moins de 15,08%), les abstentionnistes/votes blancs faisaient 24,23% (chez les GJ ils font moins de 25,47%). Les différences sont très loin d’être importantes dans ces partis là, le seul (hors LREM, évidemment, et partis dont nous ne possédons pas les chiffres) où la différence est frappante c’est le RN, qui passe de 16,14% des inscrits en 2017 à moins de 39,49% des Gilets Jaunes.
Autre fait intéressant, le 28 novembre 2018, davantage de Fillonistes (!) considèrent que la mobilisation doit se poursuivre (62%) que de Hamonistes (55%). Les deux partis caracolant en tête dans cette catégorie sont toujours les mêmes : les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (79%) et les électeurs de Marine Le Pen (90%), les abstentionnistes restant éternels troisièmes à 72%. Et, de fait, la mobilisation va continuer.
Evolution du soutien et des Gilets Jaunes 7 semaines après le début du mouvement
Avançons jusqu’après l’Acte VII, au 9 janvier 2019, et observons l’évolution de la composition des Gilets Jaunes après les principales éruptions de violences, dans un mouvement affaibli mais qui recueille toujours des opinions favorables de la part de 60% des Français selon ce sondage que nous allons décortiquer.
Attardons nous sur lesdites violences un instant. Il se trouve que de manière assez surprenante, ce sont les électeurs de Marine Le Pen qui comprennent le plus ces violences (58%) et les condamnent le moins (66%) suivis de ceux de Jean-Luc Mélenchon (respectivement 54 et 69%). Les fillonistes, eux, comprennent autant les violences que les macronistes (19%), tandis que les abstentionnistes se situent entre les deux (38% comprennent les violences). De plus, les Gilets Jaunes condamnent les violences seulement d’une courte majorité (52%) tandis qu’ils les comprennent largement (80%). Aller en manifestation aide à comprendre pourquoi celles-ci deviennent violentes, particulièrement lorsqu’elles embêtent le pouvoir en place, je conseille à chacun d’y faire un tour (dans une vraie manif hein, pas un défilé merguez-saucisses de la CGT) s’il en a l’occasion. Autrement, de manière assez évidente, chez ceux qui ne soutiennent pas les Gilets Jaunes ne comprennent les violences qu’à 9%.
Revenons-en à la composition des Gilets Jaunes après l’Acte VII. Seulement 14% de Français se considèrent comme Gilets Jaunes le 9 janvier 2019, et 48% ne le sont pas mais soutiennent le mouvement, une baisse certaine par rapport au 28 novembre mais qui reste somme toute assez modérée. 28% des électeurs de Marine Le Pen se déclarent Gilets Jaunes, contre 17% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 13% des abstentionnistes et 9% des électeurs de Benoit Hamon. En réalité, ce qui s’est produit, c’est un changement de composition que l’on peut remonter au 5 décembre, après les annonces d’Edouard Philippe, mais qui atteint son paroxysme le 11 décembre, après les annonces d’Emmanuel Macron. Tandis que le nombre de personnes se réclamant Gilets Jaunes avait augmenté à gauche en décembre (atteignant au maximum 29% chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon le 11 décembre et au maximum 17% chez ceux de Hamon le 5 décembre) avant de redescendre en ce mois de janvier à son niveau de novembre, elle n’a fait que descendre chez les électeurs de Marine Le Pen (passant de 42% en novembre à 36% de Gilets Jaunes le 5 décembre) et a complètement chuté chez les électeurs de François Fillon (passant de 16% se déclarant GJ à 9% le 5 décembre puis 6% (!) le 11 décembre, après les déclarations de Macron. De fait, ce sont les seuls électeurs chez lesquels le nombre de Gilets Jaunes a augmenté en janvier, de 2 points de pourcentage). On observe alors un changement de structure des Gilets Jaunes, qui passent le 5 décembre à (environ) 2 149 977 électeurs de Marine Le Pen, 557 040 électeurs de François Fillon, 1 200 192 électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 1 498 613 abstentionnistes/votes blancs et 206 243 électeurs de Benoit Hamon. Cela donne une répartition des Gilets Jaunes d’environ 48,24% de droite (n’oublions pas que l’on ne compte pas tous les partis), 26,70% d’abstentionnistes et environ 25,06% d’électeurs de gauche. Si l’on considère Debout La France, et le fait qu’un certain nombre d’abstentionnistes est de droite, la droite reste majoritaire dans le mouvement bien qu’elle y perde progressivement (notamment du fait de la fuite des fillonistes, et du rebond de la gauche en décembre). On peut alors s’étonner des réactions criardes en janvier d’une quantité d’individus de droite se plaignant de voir le mouvement être accaparé par la gauche, pourtant toujours largement minoritaire. Est-ce parce que la droite a peur d’aller en manifestation? Parce qu’elle a peur, du moins pour une partie d’entre elle, de la violence ? Parce que la gauche sait se mettre en avant sans pour autant être majoritaire ? Parce que les médias ont mis en avant une majorité, pour ne pas dire une quasi totalité, de “représentants” du mouvement marqués à gauche ? Parce que la droite fuit sans être capable de s’affirmer dès lors qu’elle voit la gauche arriver dans un mouvement ? Probablement tout ça à la fois, et ce sont tous des problèmes auxquels il faut remédier car à partir de là, tout ceci a un air de prophétie auto-réalisatrice : en abandonnant le mouvement, la droite l’a donné à la gauche, qui ne fera qu’y augmenter en proportion.
Du côté du statut social on constate toujours chez ceux se déclarant Gilets Jaunes une surreprésentation d’ouvriers, 20% des ouvriers et employés se déclarent Gilets Jaunes contre 9% des professions intermédiaires, 7% des cadres et 10% des retraités. Ces retraités sont d’ailleurs de sacrés résistants car ils se trouvent dans la catégorie d’âge comptant le plus faible pourcentage de gilets jaunes (seulement 7% des 65 ans et plus se déclarent Gilets Jaunes, contre 17% pour toutes les catégories d’âges entre 18 et 65 ans, papy a dû faire de la résistance dans les EHPAD). Au niveau du lieu de vie des Gilets Jaunes, les communes d’entre 20 000 et 100 000 habitants ont effectué la même remontada que la gauche, passant de 14% s’y déclarant Gilets Jaunes en novembre à 19% le 11 décembre, puis redescendant à 15% en janvier. Toutes les autres tailles d’agglomérations ont subi une baisse continue, bien que beaucoup plus modérée dans le cas des communes rurales, depuis novembre. Hors Paris. Les Parisiens, semble-t-il, aiment voir leur ville se faire incendier et ont gagné 2 points de pourcentage d’habitants supplémentaire se déclarant Gilets Jaunes le 11 décembre, avant de redescendre de 6 points en janvier. Je plaisante, évidemment, car ce n’est pas un écart significatif. Mais tout de même. Quel drôle de peuple.
Composition des Gilets Jaunes le 13 février
A présent, sautons un mois dans le futur. Enfin le futur du passé, mais bref vous m’avez compris. Nous arrivons alors le 13 février, date de publication de ce sondage (si je prends le même institut de sondage c’est pour avoir une continuité dans l’échantillon, je ferai de même pour regarder les soutiens à la fin en reprenant un sondage IFOP). En faisant les mêmes calculs que précédemment, on se retrouve avec 47,75% de Gilets Jaunes de droite, 24,74% de Gilets Jaunes de gauche, et 27,51% de Gilets jaunes abstentionnistes/votes blancs. A partir de ces simples chiffres, on pourrait se dire que la droite n’a finalement pas déserté le mouvement et alors trouver très étranges mes phrases précédentes. Cependant, il se trouve que si la droite est aussi haut c’est grâce aux fillonistes qui ont décidé, contre toute attente, de continuer leur remontada après leur chute à 6% d’électeurs de François Fillon se déclarant Gilets Jaunes en décembre. En effet, leur chiffre a doublé, passant à 12%! Pendant ce temps, les électeurs de Marine Le Pen cessent de se déclarer Gilets Jaunes, et baissent de 15 points de pourcentage. Ainsi les fillonistes représentent environ 17,21% des Gilets Jaunes en février 2019, un record (que je ne m’explique toujours pas). Or il se trouve que les fillonistes manifestent pas, ou peu, ce qui fait que leur augmentation ne fait pas grossir les rangs des Gilets Jaunes, bien au contraire. Le mouvement a été complètement vidé de son sens originel, si les fillonistes se réclament Gilets Jaunes c’est car pour eux ce mouvement symbolise à présent la lutte contre les taxes.
Concernant les autres chiffres de la composition des Gilets Jaunes, je n’ai pas grand chose à ajouter : 20% des ouvriers et salariés continuent de se déclarer GJ, soit un peu moins qu’en novembre (27%) et autant qu’en décembre (23%), c’est dans toutes les autres catégories que le nombre de Gilets Jaunes a diminué de moitié depuis novembre, passant par exemple de 13 à 5% chez les cadres ou de 16 à 8% chez les retraités. Au niveau de la taille des communes on retrouve à peu près les mêmes écarts, excepté pour les agglomérations entre 20 000 et 100 000 habitants qui décidément n’en font qu’à leur tête et sont à leur pourcentage de Gilets Jaunes de novembre (15%).
C’est également, et c’est le plus important, la première fois qu’un sondage donne une majorité de sondés souhaitant que le mouvement s’arrête. Les Gilets Jaunes sont morts, excepté pour une poignée d’irréductibles (principalement à gauche, mais pas que, loin de là), avec lesquels j’ai manifesté en petit comité jusqu’au confinement, espérant toujours un rebond qui n’arrivera au final jamais.
C’est l’occasion de parler une dernière fois des soutiens de Gilets Jaunes, et d’observer ce qui a pu évoluer entre leurs débuts et leur lente agonie dont l’on situera le commencement en février.
Soutien au mouvement après 4 mois de mobilisation
Selon ce sondage IFOP réalisé le 18 février, le soutien aux Gilets Jaunes s’est considérablement érodé de novembre à février, passant de 51% à 23%. La légère augmentation de la sympathie pour le mouvement (passant de 20 à 27%) n’a pas réussi à compenser une telle chute et le taux d’opinions positives sur celui-ci, bien qu’à 50%, est extrêmement faible en réalité car il ne se base plus que sur une majorité de vagues sympathisants, ayant préféré prendre leurs distances. Cependant, une sacrée surprise m’attendait en regardant le détail des soutiens : un seul parti soutenait (et je parle bien de soutenir) encore majoritairement le mouvement, à 53%, c’était le RN ! Les électeurs RN n’ont en réalité jamais arrêté de soutenir les Gilets Jaunes, alors même que les manifestations s’amenuisaient, que les ronds-points se vidaient, ils continuaient à se raccrocher à ce mouvement qui était le leur à l’origine. Ce souvenir est encore très prégnant aujourd’hui, car on ne tue pas une colère aussi simplement, et bien qu’ils n’aillent plus manifester les électeurs RN s’accrochent encore à ce symbole de leur colère, car c’est ce que les Gilets Jaunes sont devenus au final : un symbole. C’est d’ailleurs mon opinion que nous sommes encore loin d’en avoir vu toutes les répercussions sur la société française. Autre chiffre important, les électeurs de la France Insoumise eux aussi ont une large majorité d’opinions favorables du mouvement, mais dans ce cas-ci il s’agit de sympathie (49%) et non de soutiens (28%). De plus, sans grande surprise cette fois, ce sont LREM et Les Républicains qui ressentent, et de très loin, le plus d’hostilité pour les Gilets Jaunes (respectivement 39 et 30%, une multiplication par 10 depuis novembre pour LR). On reconnait bien là le parti de l’ordre.
La division sociale ne change pas beaucoup, les ouvriers (36% de soutien), les employés et les commerçants/artisans (28% de soutien) restent les principales réserves de Gilets Jaunes, malgré une chute assez forte (leur soutien baisse de moitié en 4 mois) chez eux comme dans les autres catégories, particulièrement les cadres et professions intellectuelles supérieures. Très loin devant absolument toutes les autres catégories se trouvent aussi les chômeurs, qui sont favorables à 74% aux Gilets Jaunes (contre 70% en novembre).
Conclusion rapide
Les Gilets Jaunes sont-ils apolitiques ? Non, clairement pas, de même que ce ne sont pas des abstentionnistes. Ils sont politiques dans le fait qu’ils sont un mouvement politique, portant des revendications politiques, peuplé majoritairement d’individus orientés politiquement de manière partisane et votant. Si le mouvement s’est revendiqué apartisan, c’était surtout pour éviter une scission de sa base comptant un nombre non négligeable de personnes de gauche, ainsi que pour empêcher toute récupération, principalement par certains syndicalistes aimant bien se balader avec leurs propres drapeaux et faire leurs propres cortèges. Et ce n’était certainement pas un mouvement d’orientation marxiste, ou anarchiste, ou pire encore lancé par Jean-Luc Mélenchon (comme semble le croire ce think-tank particulièrement intelligent de Polytechnique)
Etait-ce un mouvement principalement lié à un clivage de classe ? J’aurai personnellement tendance à répondre que non, et que ce clivage dépendait plus d’un sentiment d’appartenance au peuple français et d’une division grandes agglomérations/France périphérique, expliquant ainsi la large surreprésentation du RN et des mouvements de droite et d’extrême droite, particulièrement l’AF qui s’y est illustrée très tôt. Etait-ce un mouvement libéral symbolisant la lutte contre les taxes ? Alors oui et non, c’était principalement un mouvement de lutte pour davantage de pouvoir d’achat et surtout pour une répartition de l’impôt plus juste, particulièrement le rétablissement de l’ISF.
Les Gilets Jaunes étaient surtout un mouvement de la France périphérique, patriote, et penchant largement à droite, cependant certainement pas de la droite libérale qui l’a pris en grippe assez vite, mais d’une droite sociale qui tend aujourd’hui à disparaitre progressivement du champ politique alors qu’elle a su montrer à quel point elle pouvait rassembler. Je vais terminer par une question que je me pose souvent, à laquelle je pense qu’il est peut-être encore trop tôt pour répondre avec certitude : entre les manifestations massives de la Manif Pour Tous en 2013 (340 000 à un million de manifestants tout de même) et celles du même ordre de grandeur des Gilets Jaunes, n’assistons-nous pas au renouveau des grandes mobilisations de droite ?