Avec 58 réacteurs répartis dans 19 centrales, la France possède un parc nucléaire immense, responsable de 70,6% de la production d’électricité en France en 2019 selon le bilan de la RTE. Le reste est réparti principalement entre l’hydraulique, l’éolien et le gaz.

La répartition de la production par filière selon le bilan de la RTE 2019

Alors même que l’utilisation du nucléaire nous permet une production bas carbone et peu chère de l’électricité, garantissant en plus notre souveraineté énergétique, elle semble méprisée, incomprise et crainte par la majorité de nos compatriotes et de nos hommes et femmes politiques. J’essaierais donc ici, non pas de vous démontrer les avantages et les inconvénients du nucléaire avec une myriade de calculs et de graphiques, ce que je pourrais bien réaliser mais qui a déjà été fait de nombreuses fois (allez voir la chaîne du Réveilleur, les conférence de Jancovici ou les tweets de laydgeur pour cela), mais plutôt de comprendre d’où vient cette crainte et ce traitement politique, et de démêler le vrai du faux sur l’atome, ses alternatives et toutes les questions qui l’entourent. 

Sans encore parler des politiques, il est évident qu’il existe une crainte populaire du nucléaire. Demandez l’avis à vos parents, vos amis, vos enfants, et vous constaterez une peur qui se renforce chaque jour, mais rarement fondée et facile à désamorcer. Elle se résume en deux principaux axes : la crainte écologique et la crainte sécuritaire.

Le premier axe est en lien avec le réchauffement climatique et l’angoisse qu’il provoque chez nombre de français, surtout chez les jeunes personnes. La jeunesse française se sent désarmée face aux enjeux climatiques et remet en question l’usage par EDF de l’énergie nucléaire. Dans une enquête statistique réalisée par mes soins en questionnant des 15-25 ans de tous groupes sociaux, j’ai pu constater que 92,1 % des répondants se disent inquiets par rapport à l’usage de l’énergie nucléaire, alors que 28,9 % assurent ne pas du tout connaître le fonctionnement d’un réacteur nucléaire, et 34,2% ne le connaître que très vaguement. Seuls 10,5 % des répondants annoncent bien connaître le fonctionnement d’un réacteur nucléaire à eau pressurisée. Plus intéressant encore, on remarque une corrélation importante entre la connaissance du fonctionnement d’un réacteur et la sérénité face à l’utilisation de cette énergie. Parmi les jeunes, ceux qui en savent le moins semblent donc être les plus effrayés, ce qui est logique si l’on part du principe que ce qui effraie le plus l’homme est ce qu’il ne connaît pas… Peut-on alors parler de xénophobie énergétique ? L’expression est cocasse mais pas inintéressante, cependant je doute que beaucoup des répondants connaissent le fonctionnement d’une éolienne ou d’un panneau photovoltaïque, dont ils n’ont pourtant pas peur. Pour parler un peu de mon vécu personnel, j’ai été de nombreuses années un anti-nucléaire convaincu, par tradition familiale, avant d’être obligé de me renseigner sur la question à l’occasion de mon TPE de 1ère Scientifique, il y a plusieurs années. La visite de la centrale de Gravelines ainsi que des mois de recherches m’ont fait changer d’avis sur la question pour me transformer en un fanatique de l’atome. J’adopte désormais une posture plus modérée, en faveur d’un nucléaire plus social et humaniste. Ainsi l’énergie nucléaire, mal connue, semble animer les jeunes d’un refus et d’un dégoût; ceux là précisément qui ont peur du réchauffement climatique, qui manifestent avec Youth for Climate, et qui votent EELV, alors que l’énergie nucléaire est non seulement l’une des plus propre mais aussi la moins chère de toutes les énergies.

Le vote EELV très présent chez les jeunes

Oui la question du prix est importante, car elle participe à montrer que l’écologie de cette jeunesse pleine de bonnes intentions n’est qu’un loisir pour des bourgeois qui n’en n’ont que faire de payer plus cher leur électricité si ça contribue à satisfaire leur égo en les laissant croire qu’ils sauvent la planète et l’humanité avec, pendant que le prolétariat français poussera son dernier souffle.

Fermons rapidement la parenthèse écologique pour aborder l’axe sécuritaire. Ici, c’est un tout autre public qu’il faut rassurer. En effet là où la première problématique n’atteindra que des gens qui se sentent directement concernés par la question écologique, ici, à peu près tout le monde se sent directement concerné par sa propre sécurité physique, et même des personnes qui admettent sans problèmes les avantages économiques comme écologiques de l’usage de l’énergie nucléaire souhaite quand même la sortie de cette dernière, par crainte sécuritaire. Autre opposition: là où les problématiques écologiques atteignent surtout les jeunes comme on a pu le voir plus haut, les questions de sécurité touchent beaucoup les personnes plus âgées, qui ont notamment connu la catastrophe de Tchernobyl en 1986. Cette crainte là n’est pas irrationnelle, mais elle ne devrait pas être aussi forte. En fait, depuis que l’homme exploite l’énergie nucléaire, il n’a connu que deux accidents classés 7 sur l’échelle INES, et un seul classé 5, tous les autres événements n’engageant aucun dommage extérieur à la centrale seront alors appelés incidents. Jetons un œil à ces deux évènements majeurs classés 7, et qui ont fait couler des litres d’encres mais sont encore trop mal connus. Le premier (chronologiquement) est l’accident de Tchernobyl mais nous allons commencer par le second à savoir la double catastrophe de Fukushima. Ici, la centrale de Fukushima conçue pour résister à des séismes de magnitude 8 résiste plutôt bien au séisme de magnitude 9,1 dont l’épicentre a lieu à 145 km, mais le tsunami qui frappe ensuite la centrale mesure 15 mètres alors que la centrale était conçue pour faire face à des vagues ne dépassant pas les 5,7 mètres. La centrale est alors complètement immergée, et les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 ne tardent pas à entrer en fusion. Le calcul du nombre de victimes est très complexe puisque les chiffres se mélangent avec les victimes du tsunami et du séisme, il n’en reste pas moins que cette catastrophe est un vrai drame. Céder à l’émotion n’est cependant pas envisageable quand on traite d’un sujet aussi important et la raison nous rappelle qu’un accident de cette cause est tout sauf imaginable en France. En effet, une cause naturelle est peu probable en France, dont nous connaissons la condition sismologique et climatique rendant impossible l’apparition d’une catastrophe naturelle pouvant provoquer plus qu’un incident. De plus, les réacteurs de la centrale de Fukushima étaient des réacteurs de type REB (réacteurs à eau bouillante) alors que la France n’utilise que des réacteurs à eau pressurisée. Un second risque serait un risque technologique, donc un danger qui viendrait de l’intérieur. Ici encore, il s’agit de fantasme ou de science fiction, en tout cas en France. Les centrales subissent une inspection décennale par l’Autorité de Sûreté Nucléaire et les réacteurs sont régulièrement arrêtés pour des vérifications. Quant à la durée de vie des réacteurs, elle n’est à la base qu’une recommandation, une sorte d’assurance que la centrale fonctionnera au moins X années. Une fois cette date dépassée, si le réacteur fonctionne toujours bien et en toute sécurité, il n’y a aucune raison de la fermer. Qui jetterait son téléphone une fois arrivé au bout de la garantie, alors même que celui-ci fonctionne encore à merveille ? Tout ceci nous amène à un dernier risque et pas des moindres : le risque humain. En effet, de tous les risques nucléaires que nous connaissons en France, il est peut-être le moins calculable mais sûrement le plus important. C’est lui-même qui est à l’origine de la fusion du réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl, après un enchaînement d’erreurs de la part de l’équipe de nuit. Mais cette catastrophe peut être vue comme une convulsion d’un système soviétique à l’agonie. En effet, l’équipe de nuit n’est pas plus responsable que la négligence sécuritaire soviétique qui avait poussé les autorités de l’époque à outrepasser certains tests, autorités qui n’ont pu mettre leur fierté de côté en cachant la catastrophe et en refusant l’aide américaine, ralentissant alors les actions de limitation des dégâts. C’est justement à cause de ce risque humain que je suis défenseur d’un nucléaire plus responsable et plus social: il s’agit de bien traiter ceux qui portent une tâche si lourde sur les épaules, mais aussi d’extraire l’uranium au Kazakhstan et au Niger de manière plus éthique et humaniste. Nous n’avons pas peur de confier nos enfants à des professeurs compétents, nos soldats à de bons généraux, n’ayons pas peur de confier nos centrales à des ingénieurs bien formés, responsables et intègres.

Il faut comprendre cette peur, car les médias et les politiques l’entretiennent depuis des années, et le risque zéro n’existe pas, c’est vrai, mais j’ai connu un homme qui est mort en mettant ses chaussettes, et je n’ai pourtant pas arrêté de mettre des chaussettes.

Si les éléments scientifiques font presque consensus pour favoriser l’énergie nucléaire, alors pourquoi de nombreux partis politiques adoptent-ils une ligne anti-nucléaire ? Il semblerait que plus les candidats sont positionnés à droite de l’échiquier politique, moins ils sont en faveur d’une sortie du nucléaire, mais ne vous y trompez pas, madame Le Pen ou monsieur Fillon n’adoptent cette ligne que par pur électoralisme, puisque leurs partisans sont majoritairement pro-nucléaires. Mélenchon déclarait il y a quelques jours lors de sa Foire aux Questions : “je ne veux pas faire peur” et quelques secondes plus tard “c’est un très grand danger d’avoir ces réacteurs sur le territoire national, un très grand danger…” . Il finit par annoncer qu’il allait “inventer d’autres” moyens de produire de l’électricité. J’ai du mal à le voir autrement que comme un mépris envers ces ingénieurs qui se tuent à la tâche depuis des années pour avancer la recherches dans les énergies renouvelables ou dans le projet du réacteur à fusion ITER et dont le métier se voit résumer en une phrase comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfant d’en “inventer d’autres”.

Les problématiques énergétiques seront sans aucun doute au coeur des débats en 2022 et il est souhaitable pour nous tous qu’un candidat socialiste défende notre parc nucléaire, même si c’est un suicide électoral. Nous devons sauver les meubles qu’il nous reste et notre grande force : une industrie énergétique propre, rentable, et qui devrait toujours plus faire passer l’humain avant tout.

Auteur/Autrice

À propos de l’auteur

Un étudiant en Histoire qui aime Super Smash Bros, le Picon-bière et la philosophie politique.

Vous pouvez également aimer :

2 commentaires

  1. Merci pour cet article, il est très bien écrit.

    Il me semble toutefois que la calcul du nombre de morts de Fukushima n’est pas très complexe, voir par exemple : https://www.liberation.fr/checknews/2019/04/20/est-il-vrai-que-l-accident-nucleaire-de-fukushima-n-a-cause-aucun-mort_1720075/

    Une remarque également pour Tchernobyl. Vous dites : “cette catastrophe peut être vue comme une convulsion d’un système soviétique à l’agonie”. Il me semble que non : le problème principal en l’occurrence était le type de réacteurs (réacteurs de grande puissance à tubes de force), dont la grande dangerosité était déjà connue à l’époque.

Répondre à Erwan Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *