Commençons par définir le terme : l’intersectionnalité est un concept sociologique théorisé par la chercheuse en sciences sociales Kimberlé Crenshaw en 1991 dans le cadre d’une enquête portant sur les femmes de couleur dans les classes défavorisées aux États-Unis.
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Kimberlé Crenshaw
Il viserait à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race et postule leur interaction dans la reproduction des inégalités sociales permettant ainsi d’intégrer les différences entre les femmes et d’aller au-delà de la notion même de féminisme.

La difficulté quand on souhaite débunker une telle prise de position c’est que celle-ci part, a priori, d’un postulat qui semble difficile à remettre en cause ainsi que d’une bonne intention qu’il est malaisé de remettre en cause sans se frotter à la métaphysique des mœurs.

En effet il est fort probable, en termes de tendance, qu’une femme pauvre, noire et lesbienne ait, statistiquement plus de difficulté quant à l’obtention d’un emploi ou d’un logement qu’un homme bourgeois, blanc et hétéro. Aboutissant ainsi à une égalité des chances biaisées.
Là où le bât blesse c’est que la thèse intersectionnelle va à partir de cet établissement de certains faits sociologiques construire une dialectique qui lui est propre et qui est proche de ce qu’on pourrait appeler le « marxisme culturel ». L’idée est de dire que l’individu n’est pas un et indivisible mais qu’il est le fruit d’un amoncellement d’identités connexes parmi lesquelles : sa « race », son appartenance et ses choix sexuels ou encore sa classe sociale. Classe sociale qui n’est plus qu’une identité parmi d’autres, preuve s’il en est de l’opposition et de la remise en cause faite par cette idéologie du matérialisme historique, pourtant à la base du marxisme : on en revient même à résumer les luttes de classes au “classisme”, c’est-à-dire au mépris de classe envers les plus pauvres et on oublie totalement l’extorsion de la plus-value, les questions de propriété privée ou les spécificités du lumpenprolétariat. À partir de cette reconnaissance des identités s’opèrent alors une classification entre oppresseurs et opprimés selon la même logique que la lutte des classes mais appliquée à l’ensemble des essences indépendamment les unes des autres.
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Le vrai problème réside dans son application. Au lieu d’admettre que certaine identités prévalent sur d’autres pour déterminer sa place et ses privilèges au sein d’une société capitaliste et libérale, les intersectionnels font des mathématiques niveau maternelle. Sous couvert d’une intention noble qui est de mieux correspondre à la réalité des inégalités vécues, ils en viennent, par volonté de “ne pas hiérarchiser les luttes”, à considérer qu’un homme, blanc mais SDF sera toujours plus privilégiés que Naomi Campbell ou Beyoncé parce qu’il a à son « palmarès » deux identités d’oppresseur.

Qui plus est l’intersectionnalité entraîne un autre phénomène qui ralentit la lutte sociale véritable en empêchant la convergence des luttes : c’est une double atomisation : de la société d’une part mais aussi de l’individu en lui-même d’autre part. C’est Engels qui, le premier, dans son livre La situation de la classe laborieuse en Angleterre qui date de 1845 nous parle de cette atomisation :
“Il en résulte aussi que la guerre sociale, la guerre de tous contre tous, est ici ouvertement déclarée. Comme l’ami Stirner, les gens ne se considèrent réciproquement que comme des sujets utilisables ; chacun exploite autrui, et le résultat c’est que le fort foule aux pieds le faible et que le petit nombre de forts, c’est-à-dire les capitalistes s’approprient tout, alors qu’il ne reste au grand nombre des faibles, aux pauvres, que leur vie et encore tout juste.”
Comment ne pas établir un rapprochement ? La négation de tout point commun au sein même des classes populaires atomisées entre des hommes oppresseurs et des femmes oppressés, des hétérosexuels oppresseurs et des gays oppressés vient briser toute conscience de classe. On comprend mieux en quoi ce concept est le fruit d’un embourgeoisement et d’une américanisation des luttes sociales qui servent particulièrement bien les sphères bourgeoises qui peuvent détourner l’attention, faisant passer leurs privilèges sociaux pour des privilèges blancs. À ce titre l’exemple de Peggy McIntosh inventrice du concept de “privilège blanc” est édifiant tant il constitue la possibilité pour une grande bourgeoise de ne pas remettre en question son emplacement social par une déviation sur la question raciale si exacerbée outre-atlantique.
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Mais pire encore, l’intersectionnalité atomise l’individu en son sein et le mène à une perte de sens progressive le rendant facilement manipulable et soumis à ses identités très prononcées, désormais perçues comme seuls marqueurs de sa personnalité.
En définitive il ne faut pas en tant que socialiste se laisser berner par l’apparente complexité de la thèse intersectionnelle. Elle constitue un outil de domination visant consciemment ou non à créer des groupes sociaux atomisés et regroupés par la seule consommation de masse. Évidemment cette critique ne doit pas s’entendre comme une apologie de la seule classe sociale comme moyen d’analyser les inégalités dans notre société. N’oublions pas que les socialistes de divers courants n’ont pas attendu l’intersectionnalité pour traiter les questions de racisme, d’homophobie, de sexisme ou de problématiques liées aux personnes handicapées, et ce de manière souvent bien plus subtile, sérieuse, et matérialiste.

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À propos de l’auteur

L'anarchiste tory le plus cool du web. Promoteur de common decency dans les dents du libéralisme. Je lutte pour une union du souverainisme et du socialisme

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2 commentaires

  1. Une autre arnaque de l’intersectionnalité, qui a été sous-entendu dans l’article, c’est le fait que la “liste à cocher” des oppressions permet – en plus de détourner le regard de la véritable origine de son “privilège” – à des “dominants”, des “oppresseurs” de s’inventer un statut de “dominé”, d'”oppressé”. Double bénef donc pour le bourgeois qui ne s’assume pas, ou veut passer pour un gentil auprès des intersec’ (ou bien pour ses suiveurs dans le cas d’une personnalité).
    Si on reprend le cas de Peggy McIntosh, en caricaturant assez grossièrement, elle dit en somme “je suis privilégiée, mais c’est pas ma faute, c’est dans mes gênes, d’ailleurs regardez les autres blancs aussi ils sont privilégiés d’abord”, mais elle aurait, avec la logique intersectionnelle, tout à fait pu rajouter par derrière “en plus je ne suis même pas si privilégiée que ça, regardez, je suis une femme, donc je suis oppressée tout comme vous mes soeurs”.
    La logique intersectionnelle a aussi un autre gros défaut, et c’est sa plus grosse limite, c’est qu’elle raisonne beaucoup trop en terme d’absolu, un absolu créé en se calquant sur une conception caricaturale de la société (américaine, plus précisément), et ne tenant absolument pas compte du contexte. Et selon le contexte, ce qui “intersectionnellement” peut être considéré comme une source d’oppression, peut être au contraire source de domination…
    Par exemple dans certains milieux, loin de simplement être tolérant et ouvert à toutes les orientations et préférences sexuelles, il est au contraire mieux vu, et plus positif pour le social et la carrière d’être lgbt – des milieux aisés/bourgeois principalement… Comme quoi la classe sociale c’est quand même important… D’où certains qui s’empressent de s’inventer des orientations et identités sexuelles qui ne sont pas les leurs – et croyez-moi, c’est loin d’être seulement sur twitter, j’en ai rencontré des cas comme ça durant mes études…
    La “pyramide des oppressions” va même parfois jusqu’à carrément s’inverser, et dans ces cas-là, c’est “l’homme”, “le blanc”, “le cis”, “l’hétéro”, “le valide” qui en fait les frais de la part de gens qui pourtant n’ont jamais connu aucun problème. Je n’ai jamais eu à vivre ça personnellement (ou pas eu conscience) dieu merci (et au cas où, je pourrais toujours me préparer à sortir la carte piège “panphobe” et “validiste”) en revanche ma compagne pourrait sortir un bon paquet d’anecdotes concernant son groupe d’amis durant le secondaire et une partie du supérieur, tous lgbt revendiqués, et qui y allaient fort sur la cisphobie, biphobie, hétérophobie, etc. tout en étant issus pour une bonne partie de milieu aisé et n’ayant jamais rencontré de problèmes liés à leur orientation/identité sexuelle… Elle-même a d’ailleurs fini par en faire les frais suite à une relation qui s’est mal terminée, et a fini ostracisée de ce groupe qui l’avait de toute manière toujours mise un peu mal à l’aise…
    Plus généralement, on peut tout à fait être un “oppressé” pour un trait de son identité dans certains cas, et se faire “oppresseur” ou “dominant” avec ce même trait dans un autre contexte… J’en ai rencontré, dans mes études ou lors de soirées, des gays qui étaient détestables et arrogants, et un ou deux trans au caractère que certains pourraient qualifier de “pervers narcissiques”, sans que cela ne vienne pour autant remettre en cause les souffrances ou “oppressions” qu’ils pouvaient subir par ailleurs, soit dans certains cas seulement, soit dans leur vie de tous les jours… Les intersectionnels ont généralement un gros problème de manichéisme, il y a pas mal de tabous autour de tout ça, et ça bien sûr c’est sans parler des cas où certains de leurs combats s’avèrent complètement contradictoires entre eux, pointer ces problèmes c’est devenir une cible à abattre… Enfin bref, l’intersectionnalité, c’est de la m**de. Merci pour cet article Kafkarles, et désolé pour ce commentaire un peu long et décousu.

    1. Merci de ton commentaire qui vient très bien compléter ce que j’abordais un peu en surface sans forcément rentrer dans les détails.
      On peut aussi voir que c’est une idéologie qui entraîne forcément un certain sectarisme et qui porte en elle l’idée d’une sédition et d’une impossibilité de mener à bien le grand rêve multiculturel et progressiste (puisque, comme dans le marxisme, jamais une collaboration des sexes, ethnies ou identités de genre ne pourraient être envisagé sans constituer une aliénation pour les catégories dominées).
      Enfin le dernier point que j’aurai pu développer lorsque je parlais de l’atomisation de l’individu, c’est que ça a aussi tendance à essentialiser une posture de victimisation non contextuel comme tu l’as très bien dit. Et de là en sort toute la rhétorique de la traîtrise avec les « bounty », les « arabes de maison » ou les « pick-me »

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