Qu’est ce qui valide notre militantisme ? notre appartenance à une classe ou nos idéaux ?

Je me suis fait alpaguer par un contradicteur dernièrement, qui à court d’arguments contre ma défense de l’idéologie de gauche et du social, n’a pas aimé que je le traite de bourgeois. Il m’a interpelé sur le fait que j’utilise un Mac et un iPhone (Twitter fait bien attention à tout cafter !) et insinué que j’étais moi-même un bourgeois.

Alors oui, je dois bien l’avouer, j’utilise du matériel Apple, cela fait partie de ma vie depuis près de 30 ans, c’est mon travail depuis plus de 20 ans. C’est mon outil de travail, mon péché mignon, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne me drogue pas, je peux encore choisir de quelle manière j’utilise l’argent que je gagne.

Oui, je fais partie de ce qu’on appelle la « petite » classe moyenne. Sur le foyer, en cumulant nos deux salaires et en les divisant par deux nous sommes proches du salaire médian. Matériellement, nous ne vivons pas mal, et nous pouvons nous permettre certaines choses, et je sais que par rapport a beaucoup nous sommes privilégiés. Vais-je m’en excuser ? Non, je ne suis pas responsable de ce monde et cette société totalement déconnectée dans lesquels nous vivons. J’essaye de m’en sortir, tout en vivant dans le monde dans lequel nous évoluons…

Maintenant est ce que cela fait de moi un bourgeois ? 

Il est vrai que dans notre société, chaque classe, telles qu’elles ont été catégorisées par strates d’aisance financière, a toujours le regard posé sur la classe supérieure. Tout comme la grenouille de Jean de la Fontaine, essayant de se faire plus grosse que le bœuf, notre société de compétition et de consommation nous pousse à vivre comme la classe supérieure à la nôtre, nous tend à penser politiquement comme elle par aspiration d’en faire partie.

Aussi on cherchera toujours à avoir un logement plus grand, plus près du centre, à changer sa voiture souvent, à s’endetter… La course frénétique de l’évolution espérée de classe ne s’arrête jamais. Le système, en nous promettant que tout le monde peut réussir et évoluer (ce qui est faux en se basant sur le modèle pyramidal des classes dans un monde capitaliste / néolibéral, puisque le modèle a besoin d’une base à asservir pour s’étirer vers le haut), et nous en y croyant, nous acceptons de devenir esclaves du système, condamnés à espérer, viser, tenter, toujours plus.

Du coup suis-je un bourgeois ? D’un point de vue strict, je ne peux pas vivre sans travailler, puisque si j’arrête mon activité, je n’ai aucune rente ou quoi que ce soit qui pourrait me permettre de vivre sans travailler. Je suis donc dans l’obligation de louer ma force de travail au capital, je suis donc un prolétaire.

D’un point de vue de la société actuelle, je ne fais pas partie des pauvres, des, comme on dit si sarcastiquement depuis quelques décennies, les « défavorisés ». Je peux me permettre des loisirs, je peux me permettre de consommer de manière raisonnable.

De plus, d’un point de vue personnel, je sais que je peux perdre tout ce confort financier du jour au lendemain, et ce n’est pas le simili chômage – tel qu’il est aujourd’hui après avoir été dépouillé de sa substance – ni le RSA – vers quoi le grand capital aimerait pousser tous les inutiles pour qu’ils aient juste assez pour ne pas dire qu’ils sont abandonnés – et encore moins les piètres économies que je pourrais faire qui nous sauveront d’une chute longue et douloureuse.

Enfin d’un point de vue idéologique, je ne fais plus confiance à nos élites pour nous sauver de cette chute et je vois très bien toutes les classes dites « moyennes » se paupériser. Je sais pertinemment que je finirai en bas de l’échelle des classes sociales tôt ou tard, et j’ai conscience que ce n’est pas en pensant monter l’échelle sociale en écrasant les autres au passage que j’arrangerais ce monde.

Aussi, mon point de vue est loin d’être celui d’un bourgeois, ne serait ce que parce que j’ai une conscience de classe. Et parce que j’ai cette conscience je sais que je ne m’enorgueillis pas de mes privilèges ; j’aimerais qu’ils ne le soient pas, et que tout le monde ait ad minima ce niveau de vie là voire plus.

J’ai effectivement une situation correcte (en même temps, je ne suis pas un petit jeune non plus, sur la base d’une retraite à 40 annuités, j’ai déjà fait plus de 20 ans). Certes, j’ai le privilège de pouvoir me préparer un minimum à la forte probable chute de niveau de vie, cependant ma conjointe et moi sommes totalement conscients de ce qu’on a, ce qu’on a à perdre et du fait qu’on risque de le perdre (je pense notamment à la crise qui vient).

Mais j’ai aussi la conscience que ne sommes les bienvenus pour la bourgeoisie que dans la propagation de leur pensée bourgeoise et de la division des classes, afin que ces dernières s’en prennent les unes aux autres et laissent ladite bourgeoisie continuer de les exploiter sans inquiétude d’être renversée.

Je suis donc bien loin de l’idéologie bourgeoise.

Selon la caricature des personnes telles que celle qui m’a interpelée, une personne de gauche devrait vivre en haillon, recluse dans la campagne, sans technologie ni produit du capitalisme, sinon elle se contredirait. Et c’est là la grossière erreur. Rappelons que le principe même du marxisme n’est pas de stopper une production ou consommation mais que les travailleurs se réapproprient les moyens de production. Dans un monde où le seul mode de production est capitaliste, on est bien obligé de consommer le produit du capitalisme.

Que ce soit Apple ou Wiko, en passant par Samsung et Xiaomi, ces productions sont faites en chine, en exploitant des travailleurs dans des conditions plus ou moins de misère. La seule manière de ne pas y participer serait de ne pas consommer et donc de s’exclure de la société, et ne pas porter nos idéaux et nos convictions au travers des outils de modernité, et de laisser le champ libre à nos opposants. Nous n’allons pas nous même fabriquer les moyens de communication.

Le débat n’est donc plus sur “est-ce que ce que tu consommes est produit par des capitalistes ?”, la réponse est évidemment oui. Ce qu’on peut me reprocher in fine quand on me dit que j’ai un Mac ou un iPhone, ce n’est donc pas le mode de production, mais le coût de l’appareillage (et encore je pourrais lancer un grand débat sur le sujet qui n’est pas aussi tranché qu’il n’y parait), on me fait donc un procès en bourgeoisie.

Et quand bien même ?

Imaginons que je sois matériellement un bourgeois, ce que je possède peut certes définir ce que je suis, comme dit le vieil adage ; mais comme je l’ai fait remarquer, il s’agit en l’occurrence de mon outil de travail, toute notion de consommation ostentatoire est donc écartée.

Par ailleurs, en tant que marxistes, nous savons que si l’appartenance à une classe se fait sur une base matérielle, on peut “trahir sa classe”, sinon le lumpenprolétariat serait acquis naturellement à la cause prolétarienne, et Engels, pas plus que Marx n’auraient théorisé le communisme.

Ce qui importe donc, c’est moins la manière dont ce que l’on possède ou non nous définit, mais la façon dont on envisage le monde et la collectivité, en somme l’idéologie.

Le problème ce n’est pas l’individu, mais la société.

(Et merci à Charlucescu pour son aide précieuse qui m’a permis d’affiner l’article.)

Auteur/Autrice

À propos de l’auteur

Lt Colonel de Sainte-Hélène, Cancer de la charlosphère , sympathisant giffleur, Friotiste en formation- DPKR curieux 🇰🇵 Kim Yo-jong simp #teamdarons

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