Aujourd’hui nous allons parler Jérôme Martin. Non pas pour le tacler personnellement mais parce qu’il me semble être un cas d’école pour comprendre la déformation lexicale des réactionnaires sur le terme “bourgeois”. Et oui, vu que Jérôme milite au CCIF qui est une organisation réactionnaire, je me permets de ranger Jérôme dans cette catégorie politique.

Selon Jérôme, je serais un bourgeois ou un petit bourgeois, ou fréquenterais des milieux bourgeois (ça dépend de son humeur). Selon son pote @lafleurdu54 je vivrais dans une commune bourgeoise de campagne.

Là il parle de moi, juste parce que je lui ai dit que je n’étais pas bourgeois il caricature ce que je dis comme si j’avais fait un discours misérabiliste.

Pour clarifier les choses, je vais donner mon positionnement que j’assume depuis longtemps : au moment où j’écris ces lignes je suis étudiant, et je suis aussi un employé de mairie comme vacataire et je vis à Saint-Étienne du Rouvray, 215e commune la plus pauvre et une des pires de province en termes d’insécurité. Saint-Etienne du Rouvray c’est aussi la ville la plus endettée de Seine-Maritime, et une ville où on a des vendeurs de sommeil qui abusent tellement qu’à cause d’eux le gouvernement a dû intervenir directement chez nous. Ce n’est ni dans la campagne, ni dans un milieu très bourgeois.


On voit dans les captures d’écran précédentes que chez Jérôme, les termes “bourgeois” et “petit bourgeois” sont interchangeables comme si c’étaient des synonymes, et “petit bourgeois” lui sert d’insulte ou d’accusation infamante. Quelle est la différence réélle entre ces deux termes ? Le bourgeois, c’est celui qui possède les moyens de production. Par simplification, le terme “bourgeoisie” décrit souvent la haute-bourgeoisie, c’est-à-dire le grand patronat et les rentiers qui peuvent vivre sans travailler. Le petit bourgeois, c’est celui qui possède des moyens de production mais ne peut pas s’affranchir du travail, voire ne peut parfois même pas embaucher d’employés. Par exemple, un agriculteur qui possède sa ferme est un petit bourgeois.

C’est donc complètement débile de penser qu’un petit bourgeois est forcément privilégié par principe. Certains le sont, oui, quand leurs affaires tournent bien. D’autres sont au contraire complètement écrasés, je reprends l’exemple des agriculteurs. Certains petits bourgeois peuvent être plus pauvres et souffrir plus au travail que certains prolétaires. Cependant ils n’ont pas toujours les mêmes intérêts que les prolétaires puisque contrairement à eux, ils ont une petite propriété. Reste que des alliances sont possibles.

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. […] La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme.

– Vladimir Lénine, Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (1916)

Et comme nous l’avons vu, la petite bourgeoisie est constituée d’énormément de statuts et de niveaux de vie différents, ce qui fait que ce n’est pas une catégorie sociale homogène du tout. J’avais parlé de tout ça ici : une petite bourgeoise très pauvre pensait que les petits bourgeois étaient tous un peu riches. Je lui ai donc expliqué que non et qu’être petit bourgeois n’est ni mal, ni assimilable à la haute bourgeoisie, et encore moins un synonyme de “riche”.

Voilà comment Jérôme résume ce mini-thread sur la petite bourgeoisie : il confond petite bourgeoisie et haute bourgeoisie et fait l’amalgame entre bourgeoisie et richesse. Et il ose se vanter d’avoir plus lu Marx et Engels que moi, alors qu’ils font très bien la distinction.

Jérôme m’accuse aussi d’être un “fils de la bourgeoisie”. Je suis pourtant fils de professeurs et il le sait comme le prouve la capture d’écran précédente.

Pour Jérôme, un professeur est donc un bourgeois. Ce qui implique d’ailleurs que Jérôme se considère lui-même comme un bourgeois, puisqu’il est professeur dans un lycée. Pourtant, les professeurs du service public sont des salariés. Certes, ils ne se font pas extorquer leur plus-value puisqu’ils travaillent dans un secteur public non-marchand, mais ils restent des salariés. Donc des prolétaires. Le milieu enseignant ne vit pas du profit de moyens de production. Ainsi, chez Jérôme, on se retrouve avec une incroyable inversion absolument pas matérialiste : les pauvres qui possèdent des moyens de production ne sont pas des petits bourgeois, tandis que les prolétaires instruits deviennent des petits bourgeois voire des bourgeois.

Cela se rapproche d’un discours populiste et réactionnaire où on considère que les prolétaires instruits sont embourgeoisés et que les avantages que les employés de ce secteur ont gagné par la lutte sociale et la négociation syndicale seraient indus, ce seraient des “privilèges”. C’est exactement le discours que font les libéraux et certains réactionnaires en considérant que les avantages dus aux statuts de la fonction publique sont à abolir. Un nivellement par le bas, en somme. Et évidemment, la haute bourgeoisie attise la haine entre les prolétaires en pointant les maigres avantages de l’un pour provoquer la colère de l’autre. Avec ses tweets irréfléchis, Jérôme fait le jeu de ce discours. Le pire c’est que Jérôme n’y croit sûrement pas à ce discours, s’il le sort ici c’est juste pour me tacler gratuitement. Tout est bon pour me descendre, même si pour ça il doit trahir ses idées syndicalistes et antilibérales qui, finalement, ne sont peut-être qu’un vernis qui s’effrite rapidement.

Jérôme, qui est prof, et dont ses amis se moquaient de moi car je n’ai pas eu le CAPES, semblent oublier qu’au CAPES d’histoire-géographie il n’y avait qu’à peine 15% de reçus et qu’il y en a de moins en moins chaque année malgré le manque de profs. Pourquoi ? Parce qu’en ayant votre CAPES, vous êtes un professeur certifié. Cela vous donne accès à un statut avec un salaire acceptable (même si moins payé que dans d’autres pays de l’OCDE) et une sécurité d’emploi, entre autres. Vous êtes donc un prolétaire, mais avec un bel héritage venu de luttes sociales. Mais si vous n’avez pas votre CAPES, vous pouvez quand même devenir prof mais un professeur contractuel. Si l’Etat prend de moins en moins de gens au CAPES, c’est pour les motiver à devenir professeurs contractuels. Lorsque vous êtes professeur contractuel, vous redescendez dans les 30% les plus pauvres de la société.

Avec ce type de contrat, vous êtes en CDD chaque année, on vous refile en général les pires classes et vous pouvez bouger d’un lycée à un autre chaque année. Pour certaines matières, vous pouvez travailler dans deux établissements en même temps et c’est pas très cool. Mais Jérôme fait visiblement fi du fait que les professeurs sont des salariés et qu’ils subissent une paupérisation et une précarisation : dans sa tête, ce sont des bourgeois privilégiés.

Conclusion : Jérôme a un discours non-matérialiste confondant les différentes strates de la bourgeoisie, résume le concept de “petit bourgeois” à une insulte envers ceux qui sont pas d’accord avec lui et amalgamant les profs (et prolétaires instruits en général) à la bourgeoisie. C’est d’une part un discours populiste et anti-intellectuel qui justifie une dégradation des conditions de travail et de vie des enseignants, mais c’est en plus un discours qui pousse les profs à faire de mauvais choix politiques en croyant à tort appartenir aux classes dominantes. C’est avec ce genre de discours qu’on se retrouve avec 38% des profs qui ont voté Macron, homme politique qui ne joue pourtant pas du tout dans leur équipe.

Au déconfinement je travaillais avec pas mal d’heures sup dans une école malgré les risques de COVID, nous étions en sous-effectifs, la réforme des retraites revenait dans le débat public et je devais préparer mon CAPES et faire des exams à distance dans la salle des employés. Pendant ce temps, Jérôme n’avait rien de mieux à faire que d’inventer des mensonges pour me faire virer de la CGT et me causer des problèmes avec les formateurs de ma fac. Doit-on vraiment attendre un discours matérialiste sérieux venant de ce drôle d’énergumène ? Ni moi ni Jérôme ne sommes des bourgeois, mais j’en connais un qui fait un peu plus de collaboration de classe que l’autre. Surtout sachant qu’il milite dans une organisation financée par un multimilliardaire américain ultra-libéral. Ne l’oublions pas.

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