Je reconnais parfois rencontrer un sentiment abrupt de vécu étrange lorsque j’utilise les réseaux sociaux afin d’y apposer mon image ou ma pensée. Ce sentiment, qui m’apparaissait autrefois comme insaisissable, s’est petit à petit dévoilé à ma conscience suite à de longs instants de réflexion introspectifs associés à une attention toute particulière portée au monde virtuel et à ses utilisateurs. C’est dans cette démarche que j’ai pu émettre quelques hypothèses juxtaposant la psyché et l’intime à l’usage des espaces virtuels. Je me propose ici d’en faire l’exposé.
Les réseaux sociaux ont cela de particulier que l’utilisateur de ceux-ci se dévoile à une altérité virtuelle. Derrière l’écran, l’autre est impalpable, inaccessible et devient un double désincarné pour le sujet. Son regard, omniprésent, permet au sujet de se montrer, d’être vu et de se voir être vu à l’écran. L’enjeu de cette visibilité permanente se situe à la fois dans une quête de reconnaissance narcissique mais aussi dans une recherche de vérité et de sens à l’existence du sujet dans le monde contemporain. Ainsi, dans l’espace virtuel, la constante exposition de l’usager ne laisse que peu de place à la notion d’intimité. Dans un désir de communiquer sa vie intérieure, il tend alors vers l’exposition de son intimité afin d’obtenir la validation d’autrui dans son existence et dans son originalité, s’inscrivant dans un processus de narcissisation et dans un projet de double identification (identifier l’autre à nous-même et s’identifier à l’autre). On assiste dès lors à une virtualisation de l’intime venant flouter et confondre les contours internes et externes de la psyché. Il n’y a plus de dehors ni dedans, mais une sorte de transparence de soi, s’opposant au principe même de l’individualité. L’intimité, étant dévoilée à l’autre, perd de son essence et il n’est plus question de familiarité mais de dépossession. Dans l’espace virtuel, l’intimité n’appartient plus seulement au sujet, mais aussi à celui qui y appose son regard. Le passage à l’écran vient alors induire une déformation du privé puisque l’intimité ne peut conserver sa forme initiale lorsqu’elle est offerte à la merci des autres virtualisés. Je ne veux pas réduire ici l’utilisation de la sphère virtuelle à une dimension strictement inquiétante dans toutes les préoccupations qu’elle adjoint. En effet, il est à mon sens nécessaire de rappeler que les réseaux sociaux ne sont pas absolument ni toujours la source d’une dépossession tyrannique et irréparable de soi. Leur usage peut également contribuer dans bien des cas à opérer sur le sujet un retour positif et constructif sur lui-même dans une quête de confirmation de soi par la sphère sociale (notamment chez les adolescents en pleine recherche identitaire). Le sujet dispose toujours du choix de s’exposer ou non à la vue d’autrui s’il le désire. Cependant, je crois qu’au sein de notre société contemporaine, il convient d’être conscient des risques que présentent la virtualité dans sa dimension aliénante. La recherche de reconnaissance à travers le regard de l’autre est essentielle à la vie narcissique d’un individu.
Un sujet n’est jamais seul, il a besoin de collectivité et de lien de réciprocité pour espérer vivre sainement et s’épanouir d’un point de vue aussi bien intra qu’inter-subjebtif. Or, le monde virtuel possède une configuration tout à fait nouvelle et particulière qui ne permet pas de saisir l’autre dans la réalité. Je crois qu’il est alors dangereux pour un sujet d’alléguer la majorité de ses assises narcissiques et de ses liens de réciprocité aux espaces virtuels. Il risque alors de perdre des fragments de son intimité et de tendre même, dans de cas plus graves, vers une dépossession totale du Moi qui passe par un abandon dans le regard d’une altérité virtualisée. L’autre s’approprie l’espace intime du sujet jusqu’à provoquer son aliénation, moment où le sujet n’existe plus sans lui.