Il m’arrive comme tout le monde d’écouter de la musique. Et comme bon nombre d’entre-nous, il m’arrive de le faire sur Youtube. Et quand on fait cela (une hérésie selon les puristes), on est confronté assez souvent à un symptôme du libéralisme. J’entends par là ; l’espace commentaire et ce type de remarques en particulier :

Ce symptôme – vous l’aurez compris – c’est la contraction des rapports de temporalité entre les individus et la production culturelle.

Pour faire court, le capitalisme est – volontaire ou pas – une apologie de la vitesse, peut-être liée à la centralité de la notion de valeur d’échange de la marchandise et à la nécessité de produire toujours plus vite pour réduire la valeur. Je vous renvois à la première section du Capital, on peut y lire ceci entre autre :

“La quantité de valeur d’une marchandise resterait évidemment constante sile temps nécessaire à sa production restait aussi constant. Mais ce denier varieavec chaque modification de la force productive du travail, qui, de son côté, dépend de circonstances diverses, entre autres de l’habileté moyenne destravailleurs ; du développement de la science et du degré de son applicationtechnologique des combinaisons sociales de la production ; de l’étendue et del’efficacité des moyens de produire et des conditions purement naturelles. Lamême quantité de travail est représentée, par exemple, par 8 boisseaux defroment si la saison est favorable, par 4 boisseaux seulement dans le cascontraire. La même quantité de travail fournit une plus forte masse de métaldans les mines riches que dans les mines pauvres, etc. Les diamants ne seprésentent que rarement dans la couche supérieure de l’écorce terrestre ; aussifautil pour les trouver un temps considérable en moyenne, de sorte qu’ilsreprésentent beaucoup de travail sous un petit volume. Il est douteux que l’or aitjamais payé complètement sa valeur. Cela est encore plus vrai du diamant. D’après Eschwege, le produit entier de l’exploitation des mines de diamants duBrésil, pendant 80 ans, n’avait pas encore atteint en 1823 le prix du produitmoyen d’une année et demie dans les plantations de sucre ou de café du mêmepays, bien qu’il représentât beaucoup plus de travail et, par conséquent plus devaleur. Avec des mines plus riches, la même quantité de travail se réaliseraitdans une plus grande quantité de diamants dont la valeur baisserait. Si l’onréussissait à transformer avec peu de travail le charbon en diamant, la valeur dece dernier tomberait peutêtre audessous de celle des briques. En général, plusest grande la force productive du travail, plus est court le temps nécessaire à laproduction d’un article, et plus est petite la masse de travail cristallisée en lui, plus est petite sa valeur. Inversement, plus est petite la force productive dutravail, plus est grand le temps nécessaire à la production d’un article, et plus estgrande sa valeur. La quantité de valeur d’une marchandise varie donc en raisondirecte du quantum et en raison inverse de la force productive du travail qui seréalise en elle”.

Voilà pourquoi il parait dingue pour des gamins élevés au XXIe siècle de toujours écouter une musique ayant été produite il y a un an ou deux tout au plus, comme s’il s’agissait d’une excentricité.

Aujourd’hui on envisage la musique sur des temps courts, qui tendent à accélérer toujours plus, on a donc des musiciens comme Jul qui sont capables de te sortir deux ou trois album de 30 chansons en une année révolue. Et je dis ça sans jugement de valeur aucun.

Autrefois pour écouter de la musique, il ne suffisait pas d’ouvrir une page Youtube, il fallait posséder un instrument et savoir en jouer, sinon on devait attendre une représentation à l’opéra par exemple. Et ça s’inscrivait dans des temps beaucoup plus long.

Aussi, un opéra de Wagner écrit en 1845 n’était pas démodé en 1846, pas plus qu’en 1859 ou en 1873.

Je vous renvoie à cet excellent article de Camarade Charles si cette question vous intéresse.

La conséquence est la suivante ; la création culturelle devient une simple production ludique. La production se distingue de la création en ce qu’elle est un acte machinal, de la même manière que l’ouvrier produit là où l’artiste se veut, s’envisage en créateur. J’insiste encore, n’y voyez aucun jugement de valeur. J’ai écouté pas mal de Jul pour écrire ce petit fil et je me suis surpris à en apprécier certains motifs, des topoï contemporains. D’ailleurs on sent que ce gars aime ce qu’il fait, il publie même des albums gratuits :

Et tout ceci me semble être une fuite en avant ; à produire toujours plus vite on habitue l’amateur devenu simple consommateur à un rythme musical, puis temporel qui l’enjoint à en attendre toujours plus et plus vite. Je me demande juste à quel point pourront aller des musiciens comme Jul et quelle sera leur réponse lorsqu’ils liront dans les commentaires d’un clip Youtube sorti en début de soirée : Qui est encore là à 23h47 ?

En élargissant un peu cette analyse on peut faire une critique similaire à des réseaux comme Twitter, Instagram etc, qui imposent un rythme élevé de production pour qui veut s’attirer de larges sympathies ; publier des “threads” qui seront oubliés le lendemain. En 1964, le philosophe Marshall McLuhan écrivait que “le médium c’est le message” dans Comprendre les médias, et ceci :

Le chemin de fer n’a pas apporté le mouvement, le transport, la roue, ni la route aux hommes, mais il a accéléré et amplifié l’échelle des fonctions humaines existantes, créé de nouvelles formes de villes et de nouveaux modes de travail et de loisir. Et cela s’est produit partout où le chemin de fer a existé, que ce soit dans un milieu tropical ou polaire, indifféremment des marchandises qu’il transportait, c’est-à-dire indifféremment du contenu du médium « chemin de fer ».

L’avion, lui, en accélérant le rythme du transport, tend à dissoudre la forme « ferroviaire » de la ville, de la politique et de la société, et ce, indifféremment de l’usage qui en est fait”.

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À propos de l’auteur

Amateur d'art, d'esthétique et de culture, pourfendeur de fans de k-pop.

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