Voilà, c’est un état de fait, un truc dont je me rends compte tous les jours, j’ai une tronche d’Arabe.

Je le sais et je le vois.

Quand je me regarde dans le miroir, quand je parle à mes parents, quand je lis la signature de mes mails, mon pseudo sur Twitter, quand je sors ma CNI, quand je me présente à quelqu’un et que je donne mon prénom : je suis le fruit de l’immigration.

Plus que le fruit de l’immigration, j’en ai les stigmates. Je suis ce que certains appellent aujourd’hui de manière décomplexée un « racisé ».

Mais il semblerait que malgré mes études en sciences humaines, malgré mes années à me questionner sur mon identité et mon rapport à ce corps, à mon histoire familiale et à ma vie quotidienne, cela ne me suffirait pas à comprendre ce qu’est le racisme et à lutter contre.

Malgré mon existence elle-même, et en vertu de votre logique pour « m’éveiller », j’aurais besoin d’une figure, d’un tuteur, d’un porte-voix pour venir expliquer à la plèbe de mes « congénères » et à moi-même ce que signifie être ce que vous appelez « racisé ».

Mais, pour que cette mécanique fonctionne, pour qu’on en arrive là, qu’on nous en mette partout et à toutes les sauces : il nous faut une question d’argent, car sinon, pourquoi diable l’économie financiarisée en aurait quelque chose à foutre de tout ça ?

Il faut une économie en berne, une mondialisation insensée, une perte de souveraineté, un capitalisme débridé et nos chers identitaires qui mélangent savamment, comme le montrait Guilluy, l’insécurité culturelle et matérielle.

Et là, le système capitaliste, dans sa version libérale-libertaire, y voit une belle opportunité financière. Lancer des débats vains avec « du clash » et péter le prix de la pub à la minute, faire des bouquins best-seller autour de la « blanchité », se distinguer en soutien à BLM.

Une prise de position sans enjeu, rentable, facile à marketer, rapide, et en prime, sous ce pseudo progrès, on peut le rentrer dans le cadre la politique « responsabilité sociétale des entreprises » et le présenter à nos actionnaires : on est progressiste !

Et le système économique contemporain dans sa capacité magistrale à intégrer toute forme de pseudo contre-culture en rentabilité financière par le marketing de la différenciation entre produits, en commençant par les secteurs les plus aboutis du dogme libéral-libertaire (coucou le secteur financier et les médias), va décider de s’en mêler…

On ne crache pas sur un repas gratuit !

Bien que je sois moi-même, que nous soyons des millions de nous-même, que nos expériences nous aient montré et nous aient forgé à voir et lutter contre ce qu’était le racisme, il en fallait plus.

Il nous fallait des idoles à admirer, des bouquins à écouter, des séries à mater, des podcasts à écouter… Il nous fallait consommer du progrès.
Non, cela ne suffisait pas.

Nous devions être trop stupides, trop naïfs, pas encore assez woke ou ayant trop « intériorisé le racisme systémique ». Il fallait donc nous élever.

Alors, on nous a fabriqué des figures. Du moins non, pas exactement. Des figures se sont fabriquées et le système se charge de nous les imposer. En même temps c’est rentable, pour ces idoles… Comme pour les business qui les ont choisis comme égéries.

Des figures qui, elles seules, seraient en droit, seraient légitimes aux yeux du Capital et d’elles-mêmes à parler en nos noms, à nous « défendre ». Comme si nous vous avions attendus pour nous défendre.


Car oui, on a dû, on doit et on devra se défendre. Je suis pas naïf dans ce que je raconte. Pas assez aveugle pour ne pas le voir.

Car, Ô grande surprise, LE RACISME EXISTE.

OUAH, putain quelle révélation !
Là, tout le monde vivant en France et né avec un nom à consonnance étrangère, un épiderme coloré, avec des traits physiques asiatiques, d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne ou autre, en tombe sur le cul.

Putain mais comment on aurait fait pour s’en rendre compte sans vous ! C’est vrai quoi, 15, 30, 60 ou 90 ans dans nos corps, dans nos âmes, dans nos esprits, dans nos vécus n’auraient pas suffi si vous n’aviez pas été là !

Et c’est là que la machine infernale se met en route, vous arrivez, on vous donne la parole… En vertu de quoi, en vertu de qui ? La réponse je l’ai déjà donnée : en vertu de votre rentabilité.

« Racisé », putain. Quand tu penses au fait qu’au départ le concept de racialisation visait à dénoncer en Occident le fait que des individus aient une tendance à nier l’individualité des personnes non blanches en les voyant comme des groupes altérisés, considérés comme homogènes.

(Coucou les 10% d’irréductibles racistes en France).

Ouais, une notion qui servait au départ à mettre en exergue les mécanismes aboutissant au racisme est désormais repris bouche en cœur et appliqué en bons débiles par ceux qui se réclament COMME LES NEO-COMBATTANTS DU RACISME !

Là, tu commence à te dire qu’on n’est vraiment pas rendu et qu’on est loin d’être sorti de l’auberge de la connerie humaine.

Car c’est bien ça le propos, le métissage, l’évolution des sociétés, l’assimilation, l’intégration, tout ça n’existe pas pour eux.

Chez ces nouveaux tuteurs de l’antiracisme ou chez les néo-identitaires, l’idée est la même : réduire la personne a une identité inamovible, indépassable : l’être racisé.

Plus de place pour dénoncer ou penser les mécanismes permettant d’en arriver à ce stade de négation de l’individualité qu’est la racialisation ! Ce n’est pas assez instagrammable, ça ne tient pas en 280 caractères !

Vous êtes simplement racisés. Et c’est comme ça. Merci bonsoir.

Pour être un bon soldat de la lutte contre le racisme devenu le camp de la race, je devrais tout ramener à cette lecture du monde, tout voir à travers ce prisme, de me le figurer partout, là où je sais qu’il est, comme là où vous, Ô grands tuteurs, m’ordonnez de le voir !

Ils vont jusqu’à m’ordonner de me voir comme « d’abord un être racisé ».

Quand j’y pense, je crois que, mis à part Henry de Lesquen, je n’ai que rarement entendu un discours aussi absurde et totalitaire.

Et si tu as l’intime conviction que ce n’est pas le cas, d’être face à une situation où le racisme n’est pas en jeu, attention à toi ! On ne remet pas en question la pensée du Maître.

Le Maître donne la carotte de la vertu ou la sanction de l’opprobre.

Il te jettera aux loups.

Te transformant en un tweet fait de sophismes, de prêts-à-penser et de mort de la nuance en ces termes de fameux : « bounty », « nègre de maison », et autre « Arabe de service ».

Sa formulation 4.0 ? Le « rebeu gwérisé »

Et vous vous mettez à parler, en « notre nom , mais au nom de qui en fait ?
Au nom du Noir, au nom de l’Arabe ? Au nom du Jaune ?

Quoi de plus essentialisant ?

L’Arabe (pardon pour ce raccourci aux Berbères) arrivé en France en 47 est le même que celui de 63, le même que celui de 95, le même que celui de 2020 ?

Du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie ou de Syrie ?

Le Noir, idem pour la question de la date, qu’il soit venu du Cameroun, du Sénégal, d’Érythrée, de Madagascar, ou s’il vient des DOM-TOM ?

Mais qu’importe la nuance, ce petit business pour marcher doit être réducteur, alors nous serons « les Noirs et les Arabes ». Voilà c’est comme ça.

Et si t’es pas content, ou que tu essayes d’y poser de la nuance, c’est qu’en fait tu es raciste.

Un facho.

Parole d’évangile des Saint-Penseurs de l’antiracisme approuvé par la Grande Église du dogme libéral-libertaire.

Qui vous donne le droit de nous réduire à ça ?

Qui vous donne le droit de choisir les figures dans lesquelles nous nous reconnaissons, dans lesquelles nous voyons des bouts de nous-même, dans lesquelles nous percevons cette valeur si précieuse qu’est l’humanisme ?

Qui vous donne le droit de me dire d’aimer tel ou tel artiste ou personnage politique ?
Et maintenant même n’importe quelle personne dans ce pays ?

De désirer un corps plutôt qu’un autre ?

D’aimer les peaux laiteuses ou ébènes ?

Votre business consiste à vous réduire à ce que vous appelez votre « race », d’en faire un argument marketing, de généraliser votre cas et votre pensée creuse, que vous transposez partout pour enfin la transformer en capital et en toucher une rente.

Voilà ce que vous êtes à mes yeux, des rentiers de l’essentialisation.

Je refuse d’être résumé à ma « race », à mon orientation sexuelle, à mon handicap, à mon boulot ou à mes opinions politiques. Je refuse d’être essentialisé.

Et je le refuse par qui que ce soit. Par les identitaires, comme par les CEO de cette start-up de l’antiracisme.

Un de mes droits le plus sacré est celui de me reconnaître dans qui je souhaite et en vertu de ce que je souhaite :

Si j’admire Me Bouzrou, ce n’est pas pour son épiderme, c’est pour son parcours et sa position. Celle d’être avocat. Pas militant-avocat. Avocat tout court. Qui s’en tient à ce qu’est le rôle d’un avocat. Défendre en se fondant uniquement sur la question du droit.

Si j’admire Marguerite Yourcenar, ce n’est pas parce qu’elle est une femme, ni pour sa vie affective et sexuelle, c’est pour mes larmes en lisant les Mémoires d’Hadrien.

Si j’admire Adila Bennedjaï-zou, ce n’est pas pour son origine ou sa pensée politique, c’est pour son talent à documenter son intimité et à faire des œuvres universelles.

Si j’admire Romain Gary, ce n’est pas parce qu’il était issu de l’immigration et élevé par une mère seule, c’est pour les leçons que j’ai tirées de son œuvre. C’est pour le droit à l’anachronisme. Le droit des pachydermes.

Et quoi de plus anachronique à l’heure du tout instantané, à l’heure des camps du bien et du mal, que d’être dans celui de la nuance et de la réflexion.

Il en va de même pour tous les autres qui peuplent mon esprit et mon imaginaire : Fanon, Keynes, Louise Michelle, De Gaulle, Bashung, Ferrat, Zweig et les autres.

Également, pour ces deux-là que j’admire :

Ma mère qui m’a dit un jour « Rhéda, dans la vie y’a deux types de personnes : ceux qui se sont remis de leurs origines, et les autres. »

Mon père qui m’a répété : « Nous ne sommes rien d’autres que la somme de nos actes. »

J’en reviens donc à cette question qui était celle de « bien combattre »: nous ne vous avons pas attendus pour combattre le racisme, quotidiennement, méthodiquement, sans grands discours et sans autre volonté que celle d’être reconnu pour ce que nous ne faisons, et non d’être reconnu pour ce à quoi vous croyez pouvoir nous résumer.

Il est drôle de voir que, à grand coup de sophismes bancals, d’études fruits de la société la plus inégalitaire du monde développé, de pensées dévoyées et de raccourcis pleurnichards, les rentiers de la « race » sont aujourd’hui grassement payés et choyés par cette « société profondément raciste » qu’ils prétendent dénoncer.

Carrez-vous vos badges de bon « militants » et votre vision totalitariste là où je pense.

Comme tant d’autres, ma lutte est intime, quotidienne et n’a pas besoin de porte-voix.

Lutter, c’est montré chaque jour que malgré les mécaniques à l’œuvre et les camps qui cherchent à essentialiser, vous ne pourrez jamais nous résumer qu’à ça.

L’enfer est pavé de bonnes intentions et colorier sa route en arc-en-ciel n’y change rien.

Merci à Paul, Sam, Cécile epour leur temps.

Merci de m’avoir lu.

Auteur/Autrice

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1 commentaire

  1. Je vous lis régulièrement et je trouve vos articles intelligents et tellement nécessaires. Vous me permettez de mieux comprendre notre époque que je trouve déroutante.
    Sachez que je suis admiratif de ce que vous faites et je vous en suis très reconnaissant.

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