La Laïcité en France
En octobre 2019, une accompagnatrice porte un voile lors d’une sortie scolaire, elle n’est ni élève, ni fonctionnaire, et la sortie se déroulant en-dehors de l’établissement, rien ne lui interdit de porter le voile, mais en tant qu’usager du service public, la question s’est posée d’un point de vue du droit. Cette affaire pose un problème par rapport à la laïcité et le rejet de toute forme de prosélytisme religieux au sein des milieux scolaires publics. À partir de cette affaire, on peut tenter d’aller plus loin en développant un article sur la laïcité en France.
Je pense qu’aujourd’hui, il est plus que jamais temps de revenir sur ce concept de laïcité en France surtout au vu du climat actuel. Si la situation des autres pays vous intéresse, cet auteur a rédigé un autre ouvrage sur Les Laïcités dans le monde aux éditions Que sais-je ? en 2014. Dans cet article, je préciserai davantage de ce que j’ai rédigé dans ma fiche de lecture sur l’ouvrage de Jean Baubérot Les 7 laïcités françaises (2015), le but étant d’avoir une réflexion sur ce qu’est la laïcité, ou plus précisément les laïcités.
À titre personnel, je pense que nous ne pouvons pas après chaque attentat (Charlie Hebdo ou l’affaire Samuel Paty, voire même l’affaire Mila) ou après chaque prise de position sur le blasphème ou le voile islamique nous contenter de ressortir ce concept de laïcité qui a été vidé de son sens ou nous satisfaire de ressortir la loi de 1905 ou même celle de 2004 sur le voile islamique. Mon objectif n’est pas de revenir sur ces différentes affaires ou tragédies, car elles suscitent davantage l’émotion que la réflexion et c’est à la justice et à la police de se charger de ces choses là. Cela n’empêche pas d’avoir un avis dessus mais ça ne permet pas de travailler les sujets de fonds.
Non seulement les personnes qui s’opposent dans ce genre de débats inutiles ne cherchent même pas à se convaincre les uns les autres, mais ne font que se disputer pour ce qu’on peut appeler une laïcité « vestimentaire ». Rappeler les lois ne suffit pas, il faut comprendre dans quels contextes elles ont été rédigées et pourquoi on les a rédigées, qu’on soit en accord avec ces lois ou contre. Il convient donc à travers cet ouvrage de comprendre l’histoire de la laïcité, ou plus précisément des laïcités en France (parce qu’il y en a plusieurs), avec différentes applications dans la loi au sein de notre État. J’ai vu beaucoup de gens débattre à ce sujet sur les réseaux, certains se plaignant qu’il y ait trop de laïcités, d’autres qu’il n’y en ait pas assez, et d’autres encore ne faisant que rappeler des définitions basiques, en citant la loi sans rien apporter de plus. Certains se plaignent des vacances scolaires qui sont organisées selon les fêtes chrétiennes, d’autres se plaignent de la présence de croix dans des villages, comme si la France avait vocation à effacer ses monuments patrimoniaux et culturels chrétiens, ces monuments faisant partie de son histoire et de sa culture. J’avais même vu des personnes dire ou tweeter qu’on voulait les « convertir à la laïcité », ce qui n’a aucun sens.
Bref, nous sommes arrivés à un stade où ce terme ne veut plus rien dire, chaque personne ayant son interprétation de la laïcité et ses aprioris.
On pourrait d’abord rappeler la loi et la définition de ce qu’est la laïcité:
La République française a quatre valeurs : elle est indivisible, démocratique, sociale et laïque (d’après la Constitution de la Ve République), la valeur de la France « une ou unie » faisait partie de la Constitution de 1793, elle ne fait pas partie de notre constitution actuelle. Ces valeurs fondent le régime politique de la France actuellement.
La définition basique de la laïcité, c’est la séparation entre l’Église, ou les Églises, et l’État. On assure aussi la neutralité de l’État et de la société civile à l’égard de la religion; ces lois servent à assurer la liberté de culte et de conscience.
Dans la loi, cela se traduit juridiquement, d’après legifrance1 de cette manière par la loi du 9 décembre 1905 :
L’article 1 :
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
L’article 2 précise :
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3. »
L’article 26 précise aussi que « Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte. » De même, l’article 28 stipule « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. » Cet article interdit la présence de symboles religieux dans l’espace public.
Il faudrait aussi revenir sur la définition du terme religion, voire des termes de « culte », « spiritualité », « secte ».
La religion dans son étymologie latine vient du mot religio et dont la racine est ligare, ce qui a donné religare en latin qui signifie « lier » , « relier » les hommes entre eux, la religion a donc à l’origine un objectif social, voire politique, de réunir les hommes et les femmes entre eux afin de faire société d’après Jean-Baptiste-Bonnaventure de Roquefort dans son Dictionnaire étymologique de la langue française (1829).
Elle peut être monothéiste ou polythéiste (un ou plusieurs dieux), et suppose une croyance envers ces dieux ainsi qu’en des événements mythiques ou mythologiques. La religion, c’est un dogme ou la croyance en un dogme pouvant aboutir sur des valeurs et une morale qui peuvent servir au groupe ou à l’individu.
La spiritualité est plus individualiste.
La secte serait plus une commmunauté confessionnelle fermée sur elle-même avec des pratiques douteuses voire dangereuses pour les individus, des individus souvent fragiles psychologiquement, elle peut encourager des pratiques illégales ou immorales. Il y a souvent un rejet de la modernité.
J’aimerai d’abord revenir sur l’auteur: Jean Baubérot est un historien et un sociologue français, il fonde la sociologie de la laïcité, il crée le Groupe Sociétés Religions Laïcités(CNRS-EPHE), il est président d’honneur de l’EPHE (Écoles Pratiques des Hautes Études), titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité ». Il publie l’ouvrage Les 7 laïcités françaises en mars 2015 sur les laïcités françaises ayant opposé différents courants depuis la loi de 1905 séparant les Églises et l’État français. Depuis ses origines en France en tout cas, il distingue sept laïcités différentes d’une laïcité antireligieuse jusqu’à la laïcité concordataire avec des laïcités tolérantes, d’autres étant des laïcités « athées » qui s’opposent aux religions.
La question des laïcités, ayant une histoire et un futur au sein des débats politiques et sociaux qui les entourent, porte non plus tant sur la simple distinction entre l’État et l’Église, mais sur la distinction entre l’espace public et l’espace privé, et sur des aspects vestimentaires (le foulard, la soutane, le voile voire le voile intégral, la burqa, le niqab) ou bien même ouvre un débat ridicule sur le burqini.
Dès la première page de l’ouvrage il est indiqué : « Le modèle de laïcité française n’existe pas »; ces premières lignes démontrent clairement que la laïcité n’est pas fixe ou uniforme, elle est en mouvement. Les différents acteurs de la vie publique ont leurs propres conceptions ou interprétations de la laïcité, en parlant de neutralité ou de l’indifférence de l’État, parfois mentionnant une ingérence de l’État dans les affaires religieuses, voire allant jusqu’à une certain rejet des religions, une forme d’anti-théisme.
Cette loi de 1905 prend racine dans un certain anticléricalisme présent depuis la Révolution française et le décret du 12 Juillet 1790 qui impose la Constitution civile du clergé pour créer un clergé constitutionnel: ce décret réorganise l’Église séculière française des arrondissements métropolitains qui remplacent les archevêchés ou provinces; de même, les diocèses et paroisses sont réorganisés. Cette laïcité s’applique différemment en Alsace-Moselle à cause du Concordat; nous reviendrons sur ce concept plus tard dans l’article.
Les sept laïcités définies par Jean Baubérot sont : la laïcité antireligieuse, la laïcité gallicane, la laïcité séparatiste individualiste et stricte, la laïcité séparatiste collective et inclusive, la laïcité ouverte, la laïcité identitaire et la laïcité concordataire. Les quatre premières sont des laïcités historiques (de 1905) et les trois autres sont des laïcités nouvelles. Cela constitue la première partie de son ouvrage, tandis que la deuxième partie traite du glissement de la laïcité de la gauche à la droite identitaire et nationaliste. Cette valeur, ce concept qui était véhiculé par la gauche est maintenant véhiculé par la droite.
L’auteur précise aussi dans son livre la méthode utilisée pour définir et séparer ces laïcités: les idéaux-types de Max Weber, ces idéaux-types sont des catégories permettant en sociologie de théoriser certains phénomènes et d’élaborer une hypothèse.
Laïcités historiques et religions civiles:
Les quatre laïcités présentées datent d’il y a un siècle et ont été en concurrence pendant un siècle; l’aspect religion civile signifie qu’elles sont des « religions républicaines » et qu’elles cherchent à remplacer le catholicisme dans l’espace public. Évidemment elles ne sont pas des religions au sens où on l’entend habituellement, mais le but est bien de rassembler les hommes et les femmes au sein de la France autour de certaines valeurs dont la laïcité.
L’Anticléricalisme
La première laïcité est antireligieuse, elle vient de Maurice Allard, député socialiste, qui combat les religions qui sont selon lui « un obstacle permanent au progrès et à la civilisation ». Son but est de lutter contre la ou les religion(s) sous toutes leurs formes, et d’ « achever la déchristianisation de la France ». À l’Assemblée, sa proposition a été refusée à 494 voix contre 68, c’est la laïcité et la neutralité telle que le voulait Aristide Briand et Jean Jaurès qui a remporté le combat instaurant un simple divorce entre l’Église et l’État tandis que Maurice Allard était profondément antithéiste. Un laïc comme Pierre Larousse combat principalement le catholicisme, mais tolère l’islam, car l’islam est moins hiérarchique, il n’y a pas de pape ni de dogme selon lui.
Tandis qu’actuellement la groupe Riposte laïque (qui rassemblait des gens de gauche) lutte essentiellement contre l’islam aux côtés du bloc identitaire (des groupes axés à droite de l’échiquier politique). Cette laïcité combat la religion et souhaite une société avec des individus athées ou antireligieux, même si elle s’oppose en cela à la liberté de conscience et de conviction. Les origines de cette religion sont plutôt axées à gauche car selon Marx « la religion est l’opium du peuple », et la religion empêche l’émancipation des individus. Maurice Allard défendait l’idée que la religion est l’oppression des consciences et que donc qu’on ne peut pas considérer la liberté de culte ou de religion comme la liberté de conscience.
Cette laïcité se veut aussi religion civile. J.-J. Rousseau défend d’ailleurs un code moral areligieux dans sa Lettre à Voltaire. Rousseau, dans son Contrat social voulait que dans chaque État, il existe un code moral avec des « maximes sociales que chacun seroient tenus d’admettre et négativement les maximes intolérantes », considérées comme séditieuses. Michel Onfray, athée et laïc de gauche, défend une vision postchrétienne de la laïcité, voire un athéisme d’État à la manière de Maurice Allard. La laïcité anticléricale était donc vaincue en 1905, mais elle est de retour aujourd’hui. Pour lui, la laïcité c’est l’athéisme.
Le Gallicanisme
La laïcité gallicane tend aussi vers une religion civile: elle est défendue par Émile Combes, président du Conseil du bloc des gauches, et il crée une nouvelle « constitution civile du clergé ». D’après Georges Clemenceau, l’objectif du gallicanisme est de contrôler la religion catholique (gérée par le pape depuis Rome: c’est le catholicisme et l’ultramontanisme, avec le pouvoir spirituel et temporel, ce qui est une forme d’ingérence étrangère de la part du chef du Vatican sur la France). La laïcité gallicane cherche à contrôler la religion : les croyants ne peuvent que difficilement se mettre en association, le but est aussi de lutter contre des croyances ou des superstitions ou des croyances vieilles et passéistes ou contre des sectes (au sujet des sectes, voir le site internet du gouvernement miviludes2). La République s’oppose aux congrégations religieuses car elles dépendent de la théocratie pontificale.
Si la loi de 1905 est appelée loi Combes, il faut comprendre que dans sa version de la laïcité, le gallicanisme n’a pas été appliqué puisque finalement, c’est Aristide Briand et Jean Jaurès et leur version de la laïcité qui a été victorieuse. Briand et Jaurès dans leurs lois permettent aux chrétiens de faire des associations cultuelles.
En 1895, Émile Combes est ministre de l’Instruction publique (ancêtre de l’Éducation nationale) et ministre des Cultes, c’est un ex-séminariste devenu athée, il est très anticlérical en 1902, et durcit les positions de Waldek-Rousseau. Les établissements scolaires non autorisés des congrégations sont fermés, ce qui génère des incidents en France, et en 1904, toutes les demandes d’ouverture de congrégations masculines comme féminines sont refusées. Les tensions ainsi que le refus de l’enseignement aux congrégations religieuses pousse à la rupture des contacts diplomatiques entre le Vatican et la France, mais le scandale de l’affaire des fiches1 le pousse à démissionner. Ce ne s’agit plus juste de délation, « c’est un véritable système s’appuyant sur l’administration préfectorale et la franc-maçonnerie qui s’est organisée depuis 1901 en vue d’obtenir, au profit du ministère de la Guerre, des renseignements sur les opinions politiques et religieuses des officiers. » Le général André, devenu ministre des Armées, purge l’armée des séditieux des cléricaux et des antirépublicains, ou en tout cas les militaires jugés comme tels en se renseignant sur leurs opinions et en organisant tout un système de fichage.
Il est aussi critiqué par Clemenceau qui veut la suppression pure et simple des congrégations tandis que Combes se contente de leur interdire l’enseignement.
1https://www.cairn.info/revue-du-nord-2010-1-page-169.htm
Au Centre national et musée Jean Jaurès, cette caricature anonyme représente Émile Combes qui s’apprête à couper le nœud gordien entre la France (Marianne) et L’Église.
Les Laïcités séparatistes :
Un chapitre regroupe les deux laïcités séparatistes : la première est individuelle et stricte, la seconde est collective. La loi de 1905 est qualifiée improprement de « loi Combes », mais dans les faits les idées de Combes étaient très critiquées des deux côtés: d’une part, on dénonçait une laïcisation incomplète ou insuffisante, et de l’autre on critique un autoritarisme étatique sur la religion avec une insistance sur la « légende noire catholique » : croisades, inquisitions, obscurantisme médiéval face à la « légende dorée anticléricale ». La scission entre Buisson et Briand s’opère au niveau de l’article 4.
Laïcité individuelle et stricte
La laïcité individuelle et stricte de Ferdinand Buisson a joué un rôle dans l’élaboration de la loi mais Aristide Briand et Jaurès l’ont emporté face à lui. C’est l’article 4 qui fait s’opposer les deux laïcités séparatistes : cet article indique que les biens et les édifices des Églises et que ses adeptes doivent se regrouper en association pour se gérer. Si la loi est adoptée, les fidèles peuvent faire pression sur les autorités ecclésiastiques ou se former en associations pour continuer le culte sans dépendre d’une Église centralisatrice (pontificale). Avec ce type de séparation, l’État ne reconnaît aucune Église mais reconnaît des « citoyens français catholiques ». La hiérarchie catholique s’y est opposée car l’Église catholique a une hiérarchie et reste une monarchie pontificale et non une démocratie. C’est le socialiste Francis de Pressensé qui donne un ajout afin de permettre aux croyants de se réunir en associations cultuelles. Ces associations culturelles remplacent les congrégations.
La laïcité collective et inclusive
La laïcité séparatiste collective et inclusive vient d’Aristide Briand et Jean Jaurès : l’objectif reste d’assurer une liberté de conscience, un ensemble de droits à l’Église et aux communautés de fidèles. Les laïcs s’opposent au fait qu’Alain Savary (ministre de l’Éducation nationale à ce moment-là) tente l’intégration des écoles privées dans le service public, ils craignent une laïcité qui sera trop faible voire conciliante avec le catholicisme. La Ligue, un groupe catholique, prône cette idée: « Nous vivons dans une société plurielle, le but de la société n’est pas de produire de la conformité. » Cette citation montre que l’objectif n’est pas d’avoir des citoyens qui seraient tous les mêmes avec les mêmes idées, et qu’à l’instar de la laïcité ouverte, l’école pourrait être un lieu de confrontation des idéologies, des philosophies et des religions au lieu d’être un lieu sanctuarisé et neutre qui serait à l’abri de toutes ces idéologies. Il s’agit de respecter la diversité et le droit à la différence. Ils nomment cela les laïcités plurielles.
Il faut aussi comprendre qu’actuellement ces laïcités ont été encouragées ou perturbées sur la scène publique de par les affaires des foulards ayant eu lieu dans l’école publique de 1989 à 2004. Le contexte des débats a une importance sur ces sujets. Encore une fois, on en revient à cette laïcité vestimentaire. C’est Georges Davezac qui était secrétaire général de la Ligue face à Alain Savary qui soutient ces laïcités plurielles et le droit à la différence.
Laïcités nouvelles
Laïcité ouverte
Laïcité ouverte est une notion de Paul Ricœur [https://forumprotestant.fr/articles/ricoeur-combattant-de-la-laicite/], un philosophe laïque: il souhaite nationaliser les écoles privées. Son objectif est de mettre fin au cas particulier de l’Alsace-Moselle (le Concordat) avec le caractère confessionnel de cette école écrasant donc au passage la laïcité concordataire, mais son objectif est de rassembler ces deux modèles pour créer une école ouverte sur les débats de la société civile. Lui et André Philip croient en une laïcité « positive » qui permettrait des débats assumés entre les idées et les doctrines, un « affrontement loyal et fraternel ». Les protestants sont d’ailleurs plutôt en accord avec cette laïcité: la Fédération protestante de France en 1982 déclare « être attaché à la laïcité [mais] une laïcité qui ne serait attachée d’aucun sectarisme clérical ou anticlérical. » De même, les catholiques y sont visiblement favorables: en 1945, est annoncée une déclaration de l’épiscopat de France sur la laïcité. Ce texte reconnaît l’autonomie de l’État par rapport à l’Église et refuse le cléricalisme (influence politique du clergé sur l’État) mais il refuse l’État athée ou anticlérical et les évêques disent aussi que l’État a pour « mission d’assurer le bien commun » dont un élément serait « l’influence bienfaisante de la religion. » Ainsi l’Église chrétienne pourrait questionner et débattre de certains sujets de société avec ses valeurs et son code moral religieux. Ils considèrent des intérêts moraux supérieurs voire divins, ce qu’ils considèrent comme étant la « loi naturelle ». Cette « loi » était reconnue par les philosophes antiques, c’est une sorte de principe moral supérieur. L’Église considère qu’aucune loi « humaine », « démocratique » ou « républicaine » ne doit s’opposer au droit naturel.
Laïcité identitaire :
La laïcité identitaire, plus à droite politiquement et culturellement, fait se poser diverses questions par rapport aux migrants notamment. Nicolas Sarkozy parlait d’une « laïcité positive » mais il y a des dérives antimigrants, voire anti-islam, il y a une mission sur le voile intégral. François Barouin en 2003 tente une laïcité identitaire, les catholiques étant plutôt à droite. La laïcité n’est plus un problème aujourd’hui pour le catholicisme, mais ce n’est pas le cas de l’islam. C’est une laïcité identitaire proche d’une laïcité gallicane avec la création d’un Conseil consultatif des religions de France. Il y a aussi une question d’homogénéisation culturelle de la nation française. Cette laïcité est plus proche de la droite catholique car elle soutient et affirme les racines chrétiennes de la France.
Laïcité concordataire :
À l’origine, le Concordat est ratifié en 1801 entre Napoléon Bonaparte (il était consul et non empereur au moment de sa ratification) et le pape Pie VII: il ne s’agissait guère de rétablir le catholicisme d’État mais établir des accords entre l’État Francais et le Saint-Siège, l’objectif étant de conserver un certain contrôle sur l’Église catholique. Le Concordat s’étendra au protestantisme luthérano-réformé et calviniste (en 1802) ainsi qu’au culte juif. Ce régime concordataire s’est d’ailleurs étendu en Algérie.
Le Concordat est propre à l’Alsace-Moselle: la région était sous juridiction allemande en 1905, elle n’a pas pu être ratifiée pendant la séparation entre l’Église et l’État ; des exceptions sont donc accordées : les ministres du culte perçoivent bien un salaire de l’État de façon indirecte. Le Concordat vient à l’origine d’un accord de 1801 à Paris entre la République française et le Saint-Siège, par Bonaparte, Ercole Consalvi et Emmanuel Crétet. Il organise les rapports entre les religions et l’État, le Concordat de Fontainebleau (un nouvel accord) est promulgué de nouveau en 1813 sous l’Empire français cette fois, puis il est abrogé en 1905 sauf pour l’Alsace-Moselle (restituée à la France en 1919), le régime concordataire est donc conservé. S’il était nécessaire de l’appliquer, c’était en raisons des conditions des Alsaciens pour être rattachés à la France; sinon ils auraient été indépendants, et après la Première Guerre mondiale, les politiques de l’époque ne pouvaient se permettre de perdre ce territoire d’un point de vue géopolitique et symbolique.
Des dérivés de ce Concordat sont pratiqués en Guyane et à Mayotte et dans les autres territoire ultramarins. Pour l’Alsace-Moselle, un avis du Conseil d’État de 1925 maintient le Concordat de 1801. La Guyane a un régime spécial originaire d’une ordonnance royale de Charles X de 1828, le clergé catholique est rémunéré par un conseil départemental. Le Concordat en Alsace-Moselle est appliqué avec l’Église catholique, avec l’Église luthérano-réformée et l’Église juive; des représentants de l’Église musulmane avait demandé à en bénéficier, mais ils ne sont pas couverts par le Concordat d’Alsace-Moselle. Le seul Concordat valable avec l’islam est celui de Mayotte pratiquée avec les Mahorais, une population majoritairement musulmane.
Il y a d’autres exemples de ce Concordat au sein des ethnies vivant dans nos DOM-TOM et de leurs religions respectives: certaines ethnies boushinengues comme les Alukus et les Saramaca ont un Gran Man, c’est un chef spirituel et un capitaine de village, celui des Alukus est rémunéré en tant que capitaine de village par le conseil général (c’est l’équivalent d’un maire), mais il peut être considéré comme un prêtre. À Mayotte, les cadis sont des juges religieux musulmans rémunérés par l’État; c’est une loi d’inspiration musulmane, même si au niveau des mœurs, des changements ont été opérés : la polygamie y est illégale depuis 2010 seulement. Dans les autres TOM ou COM, il y a les décrets Mandel de 1939: les cultes sont financées à hauteur de 19 millions d’euros. Cependant ces statuts sont remis en cause. Même si ce particularisme est appliqué dans certaines situations sur ces territoires, la laïcité s’applique bel et bien; néanmoins cela pose des problèmes de préférence religieuse (au niveau des financements), et d’un autre côté, les conseils généraux se sont déjà opposés à Mayotte au fait de verser un salaire aux cadis. Ces exceptions sont aujourd’hui remises en cause d’autant plus qu’une grande majorité des citoyens n’est pas au courant de ces pratiques, donc on peut questionner la transparence de ces financements. Bui Xuan en 2004 précise ainsi que l’État français, théoriquement uni et indivisible, change sa politique selon ce qui l’arrange, universaliste avec les uns et différentialistes avec les autres. L’Alsace-Moselle a ainsi des lois allemandes qui ont été maintenues et qui ont été pratiquées entre 1871 et 1918.
Il faut aussi comprendre que même si ces concordats représentent pour certains une trahison de la laïcité stricte, il ne représente en aucun cas un risque pour l’État français puisqu’ils sont « confinés » à certains départements, certaines régions, et que pour assurer une certaine autodétermination de ces territoires, des accords sont négociés avec ces religions.
Il faut comprendre que ces laïcités avec leurs différents concepts s’affrontaient et étaient rivales: il n’y a pas de laïcité uniforme. Les laïcités type religion civile comme l’antireligieuse et la gallicane ont été vaincues en 1905 mais reviennent aujourd’hui; les laïcités séparatistes ont été victorieuses en 1905 mais sont battues en brèche actuellement tandis que les laïcités nouvelles reparaissent aujourd’hui.
Basculement du concept de la gauche vers la droite
La deuxième partie de l‘ouvrage porte sur le glissement de la laïcité de la gauche vers la droite. La laïcité est à l’origine une valeur de la gauche républicaine laïque, là où la droite est plutôt catholique et conservatrice. La droite, avec le groupe Riposte laïque qui crée un site Web en 2007 face à l’islam, reprend le concept de laïcité. Normalement, il y a l’idée d’une confiance envers les institutions, et trois croyances découlent de cette confiance : « l’idée que le prolongement de la vie est désirable ; l’idée selon laquelle il n’y a pas de santé hors de la médecine et pas de connaissance sans école, et enfin la croyance que les clercs séculiers sont des personnes morales et compétentes. » Il y a l’idée d’une trahison ou d’une « profanation de ces institutions ».
Le sujet est intéressant et peut se rallier à un autre ouvrage de Jean Baubérot Les Laïcités dans le monde aux éditions Que sais-je ? En effet elles ne sont pas appliquées de la même façon partout mais sont loin d’être uniquement pratiquées en France, certains pays ont une religion d’État (comme l’anglicanisme en Angleterre et l’Église luthérienne au Danemark, même si au même titre que la reine d’Angleterre, les religions n’ont plus un pouvoir politique effectif, en tout cas plus aussi important qu’avant, du moins pour les monarchies européennes), ce qui n’empêche pas les autres religions d’exister au sein de ces États. Si on prend le cas de l’Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 permet au catéchisme d’être enseigné dans les écoles publiques, et au vu de la hausse du nombre d’élèves musulmans en Allemagne, ils peuvent avoir des cours sur la religion musulmane s’ils le souhaitent dans les länder. Les élèves de plus de 14 ans peuvent ne pas les suivre à condition de remplacer ces cours par des enseignements d’éthique et de philosophie. L’objectif de la laïcité n’a donc selon les pays pas vocation à pousser la religion au sein de la seule vie privée, des accords sont trouvés, et l’objectif est d’apporter à la vie publique ou la politique de la philosophie ou de la spiritualité sous différentes formes.
En milieu scolaire notamment, dans la matière d’enseignement civique et moral (matière héritée de l’éducation civique, juridique et sociale), il est important d’évoquer ces sujets, pour enseigner aux élèves le fonctionnement des institutions, ainsi que l’objectif de la laïcité. À l’origine, l’objectif est de s’assurer qu’aucune religion ne puisse prendre le pouvoir au sein de l’État et ainsi de permettre à toutes les religions de se pratiquer librement à condition qu’elle ne constitue pas un trouble à l’ordre public, et qu’il n’y en ait pas une qui soit préférée aux autres. Si les élèves ne doivent pas porter de signes distinctifs, c’est pour éviter le prosélytisme sous différentes formes, mais au-delà du cadre scolaire comme on peut l’observer dans cet ouvrage, en France, la situation est plus complexe qu’une laïcité stricte qui voudrait juste séparer le public et le privé, et elle a évolué au cours du temps, entre le contexte révolutionnaire, républicain, impérial et ses différentes applications, que ce soit en France métropolitaine ou dans nos espaces ultramarins.
Conclusion :
Pour conclure, au vu de la situation, il est devenu compliqué d’aborder ce sujet qui est presque aujourd’hui tabou alors qu’il constitue une spécificité française. Il est pourtant nécessaire de revenir sur ce concept que ce soit par rapport à l’État, aux institutions scolaires, à l’assimilation, ou aux différents sujets de société comme le blasphème ou le voile, le multiculturalisme ou l’identitarisme religieux auquel nous faisons face actuellement, ou encore les actes terroristes. Il faut aussi comprendre que notre régime politique, notre contrat social, dont fait partie la laïcité, n’est pas immuable.
Bibliographie:
Ouvrage:
BAUBEROT Jean, Les 7 laïcités en France, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, mars 2015
BAUBEROT Jean, Les Laïcités dans le monde, Presses Universitaires de France, Éditions Que Sais-Je? 2014
Outil: dictionnaire:
(de) ROQUEFORT Jean-Baptiste-Bonnaventure, Dictionnaire étymologique de la langue française, 1829
Article:
BONIFACE Xavier, L’affaire des fiches dans le Nord in La Revue Du Nord 2010/1(n°384) p.169-194
Très bon article
Dans la forme, entre Odoul qui provoque une suspension de séance à cause de l’accompagnatrice et les ministres qui se cassent d’une audition parce que la présidente d’une association avait un voile, alors que sur le moment les deux avaient le droit de le porter ( attention je ne défends pas pour autant le fait qu’elles aient porté le voile dans ces lieux publiques… ) je me demande quand même si les citoyens ont voté pour eux pour que le débat se déroule de la sorte…
Et c’est principalement ce qui me déplaît dans ce débat : l’absence de réelle réflexion au profit d’invectives / de scandales puérils / d’intolérances ( d’un côté comme de l’autre bien sur )
Salut c’est moi mr one piece 14 merci pour ton commentaire sous l’article.
Effectivement ça manque assez de réflexions et on en revient souvent à d’énièmes scandales c’est pour ça que je voulais écrire cet article pour que les gens prennent un peu de hauteur et qu’on ne soit pas uniquement dans la réaction.
C’est aussi pour cette raison que je ne me suis pas trop attardé sur ces micro événements qui attisent tout et rien