Spinoza et son déterminisme contre une vision du mérite au travail et à l’acharnement

Le monde libéral et capitaliste actuel vante son monde et sa justice des répartitions par le mérite au travail. L’idéologie de l’histoire personnelle et de l’auto détermination tend à mettre en avant l’idée de responsabilité. La réussite ou l’échec, la place que l’on a dans la société viendrai de notre travail, de notre volonté d’acharnement. Ce dont je m’apprête à parler, c’est une vision défendue par l’économiste et philosophe Frédéric Lordon qui remet en cause philosophiquement l’idée même de la méritocratie. Le terme à bien définir et comprendre ici c’est celui de déterminisme.

Spinoza & déterminisme

Qui est Spinoza ? C’est un philosophe du XVIIème siècle néerlandais. C’est un philosophe rationaliste. Le rationalisme n’était pas quelque chose de commun à l’époque. Cette doctrine propose une explication des évènements par des causes. En latin, le mot «Rationnel» vient de «ratio» ce qui signifie «calcul». C’est un enchainement logique qui tend à expliquer un évènement par des causes. Ce mode de pensée est en opposition à une vision religieuse. La vision religieuse s’autorisait à proposer des explications sur des évènements avec un prisme religieux.
En somme, Spinoza interdit dans sa philosophie l’argument du ex nihilo. Rien ne sort de nulle part. Il y a toujours une raison et une explication rationnelle aux choses. On comprend largement les frictions engendrées avec la religion. Sa philosophie ira jusqu’à réprouver l’existence de Dieu et le définira comme une parti du tout, et non pas comme un être.

Venons-en à sa théorie du déterminisme. Cette vision est aussi simple à comprendre que difficile à concevoir. Tout est déterminé. Chaque chose n’est ce qu’elle est qu’uniquement à cause des conséquences.

Prenons un exemple. Sur l’illustration ci-dessous, on imagine que la boule blanche est projetée en direction de la boule grise. Avec une certaine force de tir, et un angle de tir on peut calculer la trajectoire de la boule grise. Le chemin parcouru par cette boule est déterminé. Son mouvement jusqu’à son point d’arrêt ne vient pas d’une force de son âme mais de micro évènements aussi subtiles qu’inquantifiable (résistance à l’air, rigidité du sol, absorption du choc, etc). Mais dans l’analyse de son mouvement on ne peut pas prendre en compte l’auto-détermination de cette dernière. Ce sont des rapports physiques qui ont conduit à sa position finale.

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C’est ce qu’on appelle selon Spinoza une trajectoire déterminée. Et cela s’applique également pour nos choix. Pour s’opposer à cette thèse, on placera volontiers Descartes. Descartes est un philosophe de la même époque que Spinoza.

Descartes et le libre arbitre

Descartes est un philosophe dualiste qui oppose le corps et l’esprit. Il définit le libre arbitre comme l’indépendance de la volonté vis à vis de la matière. C’est une vision dualiste qui existe depuis Socrate et que St Augustin avait bien expliqué : Dieu nous a donné le libre arbitre, la liberté du choi entre le bien et le mal. Donc Dieu ne peu pas avoir la responsabilité du mal puisqu’il a laissé l’Homme choisir. C’est ce que Descartes appelle le «Décret de l’âme». C’est en réalité une vision très chrétienne qui consiste à séparer le monde ici bas : celui de la matière et le monde de l’haut delà : celui de l’esprit.
Spinoza, quant à lui prétend que non. La matière et l’esprit sont l’attribut d’une substance unique : c’est ce qu’il appelle le monisme. Le monisme est la position philosophique qui affirme l’unité indivisible de l’être. Si vous êtes ivre, l’alcool va physiquement vous impacter, imbiber votre sang, monter jusqu’à votre cerveau. La conception est extrêmement matérielle. Mais vos pensées vont s’embrouiller, vous allez réfléchir différemment, ce bousculement physique va affecter vôtre «âme». On comprend alors en quoi le corps et l’esprit ne sont qu’une même chose et s’influent entre elles. En conséquence le libre arbitre de Descartes ne tient plus: puisque la volonté n’est pas indépendante de la matière.

En somme Spinoza réfute le libre arbitre. Nos choix ne sont pas définit en fonction de notre volonté inaliénable, mais bien en fonction de nos affects. Il est important de comprendre que le libre arbitre n’est qu’une illusion. Puisqu’on a la sensation de choisir, en notre âme et conscience.

Mais détaillons nos choix par exemple. Comment choisit-on quelque chose ? Prenons l’exemple du chômeur qui devrait employer son temps rémunéré par les allocations chômages pour trouver un travail. Assit sur son canapé, devant la télé, celui-ci préfère passer du temps à la regarder plutôt que d’entamer des recherches. Pourquoi choisit-il de ne pas travailler ? Il fait ce choix car il calcule non pas ce qui devrait lui apporter sur le long terme de manière tout à fait rationnelle. Cette personne peut être pourrai devenir l’inventeur d’une nouvelle application, devenir riche, et pouvoir toute sa vie profiter de son canapé. Mais il pèse selon ses affects et ses désirs. Quels sont-ils ?

Sur le schéma ci-dessus, la personne a encore le temps de trouver du travail, son désir de rester devant la télé est plus important que son désir d’appeler un employeur. Quelques semaines plus tard, alors que ses allocations risquent de lui être retirées, sa peur d’être à la rue est plus importante que son désir de passer du bon temps.

C’est donc nos affects, nos désirs qui, entres eux se bataillent dans notre tête pour que l’on fasse un choix. Mais d’où viennent nos désirs ? Les choisissons-nous ? Non bien entendu. Nous sommes les victimes de nos désirs et à ce compte, nous ne sommes pas responsables d’eux. Ils nous parviennent par des expériences, des informations reçues (qui ne dépendent pas de nous donc), une construction sociale, la culture etc… La publicité a bien compris cela en ce sens qu’elle joue sur nos désirs. Sur cette question, Spinoza dit ceci :

A présent j’ai démontré que le libre arbitre n’existait pas. Mais pourquoi alors le considérons-nous comme réel ?

L’élément essentiel de la responsabilité

Chacun se sent libre de ses choix. Et c’est important de se sentir responsable. L’inverse nous nierait en tant qu’être, et nous relayerai en tant qu’objet.

1. C’est une illusion. L’illusion est une sensation, qui nous fait interpréter quelque chose. Elle donne une sensation de vérité car elle trompe nos sens. L’illusion a ceci de pervers qu’elle nous trompe, mais nous fait développer l’idée de la vérité.

2. La société a besoin du libre arbitre. Puisque dans un cas judiciaire, il faut qu’il y ai un responsable. Nier le libre arbitre, c’est nier qu’une personne est responsable de ses actes. Et à ce titre là, de quel droit peut-on punir quelqu’un qui n’est pas responsable ? C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on traite différemment quelqu’un dont la démence a été reconnu, puisqu’on estime juridiquement qu’il n’est pas responsable. Sur ce point la responsabilité découle du libre arbitre. Attardons-nous un instant sur ce que signifie «responsabilité». Ce terme, signifie «savoir répondre de», sous-entendu nous avons la capacité d’expliquer notre comportement. Mais on peut le voir d’une autre manière. Quelqu’un de responsable c’est celui qui va se poser en réponse à quelque chose. Il est un corps qui reçoit des désirs, et on lui reconnait une capacité à réprimer ceux-ci puisque sa peur des conséquences doit être plus élevés que ses désirs illégaux.

Méritocratie & propagande

Nous vivons dans un monde inégalitaire. La principale doctrine du capitalisme, sous la philosophie du libéralisme c’est le mythe de la méritocratie. Le mérite, l’engagement, le sacrifice, sont autant de valeurs que l’on utilise pour justifier ces inégalités. Si Steve Jobs a réussit sa vie, c’est qu’il était plus acharné de travail que les autres. L’idée a tellement bien pris, que lors de sa mort, des milliers de personnes se sont ruées sur son livre. Pour eux, sa position n’était pas un alignement des planètes, des terrains favorables, une éducation et des valeurs transmissent par ses parents, mais bien son libre arbitre qui, ex nihilo, s’est imposé sur le monde.

Adhérer au roman du mérite et de la valeur travail, est donc la principale raison pour être aliéné. L’aliénation pour rappel dans la théorie marxiste, l’aliénation est la condition de l’individu qui ne possède ni son outil de travail, ni sa production. L’aliénation sociale quant à elle se rapporte comme la dépossession de l’individu, c’est-à-dire la perte de sa maîtrise, de ses forces propres au profit d’un autre. Et c’est donc bien de celà dont il est question. En se reconnaissant libre, nous permettons au libéralisme (philosophie de prou essentielle au capitalisme) de nous culpabiliser, de nous placer en position de responsable vis-à-vis de notre situation. Un simple coup d’œil au taux de fluidité sociale en France appuie cette vision. On voit bien que le milieu social duquel nous venons détermine, du moins en partie, notre futur milieu.

Cette vision est compliquée et désagréable a se représenter puisqu’elle nous nie en tant qu’individu. Nous ne sommes plus cette être libre de tout, nous sommes comme les autres. Cette sensation d’être nié se retrouve dans les sciences sociales comme la sociologie. On peut par ailleurs totalement associer la philosophie spinoziste aux démonstrations de Bourdieu dans son livre «Les Héritiers». Il donne des exemples concret de ce que peut engendrer le déterminisme en société à travers par exemple le capital culturel. C’est ce qui concrètement désigne l’habitus. En sociologie, un habitus désigne une manière d’être, une allure générale, une tenue, une disposition d’esprit. C’est une tendance que l’on retrouve pour étudier les groupes.

Les entreprises ont une âme

C’est donc à travers cette illusion du libre arbitre — qui n’est au final qu’une manifestation inconsciente de nos désirs — que nous sommes conditionnés à justifier notre propre exploitation par le capital. Frédéric LORDON, propose une analyse qui pousse la logique encore plus loin. C’est la notion de l’angle alpha (⍺).

Ce schéma représente les deux désir, le désir de l’employé qui ne souhaite pas donner toute son énergie à son employeur, et le désir de l’employeur qui souhaite que son employé lui donne toute sa force. L’ouverture de l’angle alpha détermine nos choix. Un angle à faible ouverture, et le salarié fera passer son énergie pour l’entreprise avant la sienne, un angle au dessus de 90° et le salarié commencera à ne pas se montrer malléable et à faire de la résistance. Le souhait de l’entreprise, c’est que chacun de ses employés soient heureux, désirent travailler et donner leurs temps le plus possible à leurs employeur. L’angle Alpha représente le degré d’investissement personnel pour son entreprise. Nous ne donnons plus notre simple temps de travail à l’entreprise mais nos désirs, notre servitude. Le capital cherche donc des agents économiques à l’angle le moins élargis possible. Et pour cela, il faut influencer nos désirs.

De là, a commencé à émerger les start-ups, les identités de marques fortes, la personnification de l’entreprise à travers un logo, des slogans etc… Les entreprises se sont attribuées des valeurs, pour pouvoir toucher nos affects. Le double intérêt est celui de nous donner envie de consommer d’abords, mais ensuite de nous vanter un imaginaire de travail sans peine.

L’exemple le plus pervers est celui de Starbuck. La chaine de café, fait appel non pas tant à nos désirs de consommer, mais de consommer comme le travailleur idéal. Le cadre, qui, tout en consommant son café, peut prendre son temps et travailler sur son macbook sur cette table désignée exprès en cercle pour ne pas qu’il se sente seul. L’aliénation ici est criante, la volonté de l’entreprise, ce secret de l’âme selon Descartes — en cela qu’on parle de volonté — est de transformer la servitude en affect joyeux.

Son souhait est de nous donner en nous un désir de travailler, de se donner au grand but de l’entreprise, à son conatus. C’est-à-dire sa persévérance dans son être. Et tout cela a un nom : l’utopie du capitalisme réel de l’Homme nouveau.

J’ai parlé tout à l’heure de désirs pour ma démonstration du chômeur. Mais le terme plus précis est l’affect. Nous choisissons selon nos affects joyeux ou nos affects tristes. L’affect triste ce peut par exemple être la résignation. L’ennemi en somme de la révolution marxiste. Mais pourquoi l’ennemi de la révolution marxiste ne serai pas plutôt l’affect joyeux ? C’est cette théorie que défend Lordon. Nous sommes investi par le désir maître de notre patron en tant que salarié, mais celui-ci est également investi par le désir maître du capitalisme. Et nous sommes tant investi, que nos affects qui devraient être triste, et se transformer en action de révoltes (l’ouverture de l’angle alpha), se transforment en affect joyeux.

Alors à tout ceux qui souhaitent une révolution marxiste, sachez que l’exploitation du prolétaire ne mènera pas nécessairement à une révolte. Puisque se croyant libre de ses choix, le prolétaire est peu à peu investit par des affects joyeux quant au désir maître du capital. Lorsque Trotsky prétend qu’il suffirait d’exposer la vérité pour qu’il y ai une révolution, à l’heure de la personnification des entreprises la bataille se ne pourra se dérouler que par l’affect.

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À propos de l’auteur

Amateur de philosophie, et d'histoire politique. Mon travail est avant tout pédagogique pour éviter la pensée de surface.

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