Mario Ruspoli (1925-1986) est un documentariste italien ayant essentiellement travaillé en France. Son nom n’est pas le plus célèbre dans le Panthéon des cinéastes sacrés. Pourtant peu de gens peuvent se targuer d’avoir eu une influence de si grande ampleur sur la forme audiovisuel. Il est pourtant l’un des initiateurs, notamment avec des réalisateurs canadiens (1) et américains (2) à la même époque, du mouvement Cinéma-Vérité, qui fut à la mode dans les années  1960. Syntagme énoncé par Edgar Morin et inspiré du Kino-Pravda de Dziga Vertov,  le cinéma-vérité, va devenir très vite le syntagme Cinéma-Direct, est un cinéma axé sur le filmage du réel dans une approche documentaire.

Par quoi le cinéma direct se caractérise t’il ?

Par le tournage en  son synchrone, un allégement des moyens de tournage et d’une nouvelle manière d’appréhender le documentaire et la forme cinématographique avec plus de spontanéité.

Depuis l’institutionnalisation du cinéma dit “sonore” ou “parlant”, à partir de 1927 avec le succès du Chanteur de jazz d’Al Johnson, la technique de tournage sonore est encombrante, bruyante, lourde et non-portative. L’enregistreur sonore est amarré aux studios ciné pendant longtemps et les tournages sont postsynchronisés, surtout en Italie et aux USA, pour faciliter la sonorisation. Mais à la fin des années 1940 une mutation lente va pousser l’allégement du matériel cinématographique, l’enregistreur sonore va se compacter. Cet enregistreur sonore, qui fera la renommé de son ingénieur Stefan Kudelski en 1951, est le Nagra, “ça joue” en polonais. D’abord relié par un fil à la caméra le Nagra va petit a petit s’autonomiser de la caméra en étant alimenté par une pile. L’enregistreur sonore va alors quitter le studio pour filmer  et interviewé tout le monde hors studio. L’armée de techniciens se réduit à un ingénieur son seul ou accompagné d’un perchiste. «Le reporter, l’interviewer, le journaliste, le folkloriste, l’ethnographe, le sociologue, tout comme le cinéaste, pouvaient recueillir partout sur place des sons directs valables et retransmissibles.»(3). La légèreté de la prise de son, puis de la caméra va augmenter le paradigme de tout ce qui est représentable dans 3 des 5 formes d’expressions du cinéma (Voix, bruit et images mouvantes).

Avec cette révolution technique Mario Ruspoli se fera un fervent défenseur d’un nouveau moyen de tournage:

  • Une petite équipe et des moyens légers.
  • De l’improvisation et un tournage se voulant sur le vif.
  • Une place énorme accordé à la parole des intervenants.

Il a même fait un film, Méthode 1, pour la RTF  ou il explique sa nouvelle méthode de tournage et ses possibilités. Grand pédagogue il a aussi écrit un rapport à l’UNESCO riche d’informations sur le cinéma documentaire dans les années 1950-1960.

Pour lui le but de ce cinéma est d’inverser le rapport entre la caméra et les personnes filmés. Ce n’est plus une machinerie imposante, qui faisaient même peur aux acteurs du cinéma dit primitif, mais un dispositif extrêmement léger qui permet aux équipes techniques de ne pas endommager le milieu filmé et les gens, et avoir ainsi de véritables confessions, dialogues et échanges humains profonds sans les gêner. «Sans jamais la cacher, il recommande de placer la caméra dans un espace discret, en évitant le centre de la scène. C’est un témoin, un objet sans importance, que les personnes filmées peuvent finir par oublier.»(4). Vider le cinéma de son côté matériel pour s’axer uniquement sur l’humain. L’idée d’enregistrer une conversation normale comme s’il n’y avait pas de caméras, comme ce sera le but pour Jean Rouch et Edgar Morin dans Chronique d’un été (1961). Ici on ne fait plus des films sur un objet, documentaire reportage ou fiction, mais avec l’objet. Ruspoli précise dans Les inconnus de la terre qu’il ne fait pas un film sur des agriculteurs mais «avec la collaboration» des paysans. Ruspoli cherche à échapper aux trois modes principaux d’expression documentaire, qu’il baptise «attitude pittoresque et paternaliste », « documentaire à thèse» et « attitude Télévision-Journalisme»»(5). Le cinéma direct change la donne car les anciennes attitudes documentaires qu’il nomme se rapprochent d’une certaine vision ethnographique (regard trop descriptif se voulant objectif, surplombant avec une voix off froide et distancié) que le cinéma direct contourne. L’approche Cinéma Direct a plus à voir avec la définition anthropologique que donne Tim Ingold(6): un Sensualisme , se voulant proche et avec les gens filmés demandant une collaboration investigateur/sujet et surtout de créer une dimension de processus dans le travail sans produire une étude surplombante et fixe. Que ce soit Chronique d’un été(1961) de Jean Rouch, Le joli mai (1963) de Chris Marker, les films de Wiseman, par exemple Hospital (1970) et Law and Order (1969), le cinéma direct invente une approche documentaire plus proche d’une étude anthropologique. On croirait que le cinéma direct tend à «l’objectivité», sujet idéologique large qui demande à être traité dans un autre article, ou l’image que nous nous en faisons, alors que bien au contraire il laisse la place à une grande subjectivité qui a donné au cinéma ses plus grands moment de tendresse et d’humanité.

Il est l’un des premiers à s’être jeter dans ce cinéma et à le promouvoir. Le documentaire ennuie beaucoup de gens qui s’intéressent uniquement à la fiction,  longtemps nommé docucul. Mais pour se réarmer culturellement le documentaire est une forme bien plus riche que la voie fictionnelle, même si définir métaphysiquement les deux séparément  est stupide. Cesare Zavattini, scénariste italien du néo-réalisme, écrit que  le cinéma en tentant d’imposer des histoires romancés de la réalité ne fait qu’avouer un échec humain. Celui de se regarder en face et de composer avec ses problèmes présent au lieu de se divertir.

Liste des films intéressants de Ruspoli à voir:

D’après les mots de Ruspoli “ce film et une enquête en Cinéma-Direct sur les conditions de vie d’une fraction de la population rurale de la Lozère, aux prises avec le problème de l’isolement, de la dépopulation et de la difficulté de produire rationnellement”.

Film introuvable sur le net Regard sur la folie est le premier film français qui s’attache aux aspects de la vie dans un hôpital psychiatrique (Saint-Alban, Lozère). Tourné dans la continuité des inconnus de la terre ce film se verra divisé en deux courts-métrages (celui ci et La fête prisonnière) par le producteur Anatole Dauman.

Nous suivons la cure de désintoxication d’un alcoolique à l’hôpital de Bordeaux.

Portrait touchant du quotidien de chasseurs de baleines le faisant pour survivre dans un monde qui se mondialise de plus en plus. La chasse et le dépeçage de la baleine est réalisé sans exotisme. La musique est le commentaire reste de très bon goût.

 Notes de bas de pages:

(1) Arthur Lamothe, Marcel Carrière et surtout Michel Brault.

(2) D. A. Pennebaker, les frères Maysles, et surtout Richard Leacock.

(3) Vincent Bouchard, « Dispositif léger et synchrone appliqué : le tournage direct de Mario Ruspoli », Décadrages [En ligne], 18 | 2011, mis en ligne le 10 avril 2012, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/decadrages/221 ; DOI : 10.4000/decadrages.221

(4),(5) Rapport de Mario Ruspoli pour l’UNESCO

(6) Tim Ingold, « L’Outil, l’esprit et la machine : Une excursion dans la philosophie de la « technologie » »,  Techniques & Culture [En ligne], 54-55 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2013. URL : http://tc.revues.org/5004 DOI : en cours d’attribution

Bibliographie:

JEANCOLAS (Jean-Pierre), « CINÉMA-VÉRITÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 décembre 2020. URL : http://www.universalis-edu.com.distant.bu.univ-rennes2.fr/encyclopedie/cinema-verite/

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À propos de l’auteur

Cinéphile de niveau mage noir.

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