Dans sa dernière vidéo, Le Bouseux critique Michel Clouscard en racontant n’importe quoi, sans l’avoir lu. Une clarification s’impose.

Le Bouseux traite donc Michel Clouscard d’ « auteur de seconde zone ». On peut d’abord se demander en quoi un trentenaire qui dit lui-même ne pas lire de livres et s’informer avant tout par des threads et des vidéos Youtube amateur a une quelconque légitimité pour qualifier un philosophe et sociologue d’ « auteur de seconde zone » sans l’avoir lu.

Si le Bouseux s’était un minimum informé sur Michel Clouscard il aurait su qu’il a fait sa thèse sous la direction d’Henri Lefebvre, c’est-à-dire un des plus grands intellectuels marxiste français du XXe siècle, qui était à la fois philosophe, géographe et sociologue. Et Jean-Paul Sartre, à l’époque, commentait la thèse de Michel Clouscard en ces termes élogieux :

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Autant dire que ce ne sont pas tous « les auteurs de seconde zone » qui voient leur thèse soutenue par un penseur aussi important qu’Henri Lefebvre et sont félicités par Jean-Paul Sartre.

Le Bouseux dit aussi que Michel Clouscard est un auteur qui ne fait pas consensus à gauche. D’abord, on peut se demander si un auteur ou un homme politique a déjà fait consensus à gauche quelque part dans l’histoire, mais passons. Il ajoute que Michel Clouscard plait bien à la droite conservatrice, voire réactionnaire, notamment chez la droite antilibérale. Pourtant le seul et unique exemple de célèbre penseur de droite citant Michel Clouscard est… Alain Soral. Et c’est d’ailleurs le seul exemple qu’il donne plus loin.

Et c’est un sophisme par association ridicule. Alain Soral se réfère aussi à Karl Marx, Friedrich Engels, Pierre-Joseph Proudhon et Mikhaïl Bakounine, qui n’ont d’ailleurs jamais fait consensus à gauche sur tous les sujets donc seraient-ils rouges-bruns ? Le Bouseux rappelle, à juste titre, que Michel Clouscard a rejeté Alain Soral de son vivant. C’était dans un très court article publié dans L’Humanité. Puis il tente de faire une attaque ad hominem envers Clouscard en sous-entendant qu’il est hypocrite car il dit rejeter Soral tout en acceptant d’être édité chez Kontre-Kulture, la maison d’édition de Soral.

Le Bouseux n’a pas dû chercher bien longtemps, car effectivement Clouscard n’est pas au courant qu’il est édité chez Kontre-Kulture car… il est mort en 2009, c’est-à-dire avant la naissance de cette maison d’édition en 2011.

Clouscard critiquait le Front National de Jean-Marie Le Pen quand Alain Soral a failli être tête de liste aux européennes pour ce dernier. Jean-Marie Le Pen qui est un libéral et s’autoproclamait comme « le Reagan français ». Jean-Marie, américanoïde certifié.

Le Bouseux oublie aussi de préciser qu’Alain Soral est le seul penseur de droite célèbre se référant à Michel Clouscard mais qu’à gauche il est cité par le philosophe Dominique Pagani, par le sociologue Jean-Pierre Garnier ou encore le philosophe Aymeric Monville. On le retrouve encore beaucoup cité dans les milieux marxistes-léninistes, comme par exemple au PRCF. Il est aussi une référence de certaines branches du Parti Communiste Français qui ont déjà fait des tables rondes autour de son travail.

On voit donc que Clouscard a une certaine postérité hors des milieux soraliens, milieux soraliens qui ne le citent même plus comme une référence depuis bien longtemps.

Il nous dit que Michel Clouscard a « une approche iconoclaste et antilibérale ». Le Bouseux résume Michel Clouscard à un simple antilibéral. Pourtant Michel Clouscard ne se définissait pas simplement comme un antilibéral, mais bien comme un communiste à part entière. Et si Michel Clouscard est connu ce n’est pas uniquement pour son antilibéralisme. S’il est connu c’est pour sa critique des freudo-marxistes et de leurs dérivés, ses analyses de l’évolution du capitalisme durant la guerre froide, ses analyses sociologiques sur l’évolution de la consommation dans les pays développés et les mutations culturelles de la France. C’est un auteur qui aborde beaucoup de sujets différents sur son époque, ainsi que des concepts et de constats sont encore très pertinents aujourd’hui. Le Bouseux ferait mieux de le lire avant de le rejeter d’un bloc sans aucun argument pertinent.

Jusqu’ici les seuls arguments du Bouseux sont ces sophismes :

  • Déshonneur par association : « Il est cité par Soral ! »
  • Jugement de valeur infondé : « Auteur de seconde zone. »
  • Attaque ad hominem foireuse : « Il critique Soral mais il est édité chez Soral ! »

Tout cela me parait assez léger pour rejeter un auteur aussi important. Le Bouseux n’est même pas capable d’étayer un minimum ses critiques envers Michel Clouscard, il aurait pu par exemple critiquer le fondement d’un de ces concepts ou d’une de ses analyses importantes… mais non.

Le Bouseux tente de justifier sa paresse intellectuelle en invoquant le concept de "capital culturel" de Pierre Bourdieu.

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Rejeter toute culture générale sous prétexte qu’être cultivé serait bourgeois par essence, c’est de l’anti-intellectualisme primaire. Le Bouseux nous dit que la gauche du XIXe et du XXe siècle nous ferait une injonction de type « va bosser à l’usine » si on se mettait à leur parler de sujets un peu intellos. Pourtant dès le XIXe siècle les divers courants de la gauche faisaient justement tout pour accroitre le capital culturel du prolétariat : militantisme en faveur d’une éducation publique, gratuite et obligatoire, puis militantisme pour une extension de la durée de cette éducation obligatoire, ouverture de bibliothèques et d’écoles de musique dans les banlieues, formations militantes à bas-prix dans les partis et les syndicats, universités populaires, médias militants, etc. Et évidemment cela passait aussi par le fait de militer contre le travail des enfants et de diminuer le temps de travail aliénant pour permettre un plus grand temps de loisir, temps de loisir dont on peut consacrer une partie à la culture ou à la politique. Absolument aucun homme politique ou intellectuel de gauche du XIXe ou du XXe siècle n’aurait dit « va bosser ! » au contraire c’est plutôt un discours anti-intellectualiste qu’on pouvait retrouver chez des gens comme Pierre Poujade ou chez des virilistes bas du front pour qui la vie d’un homme, un vrai, c’est pas de lire des livres de tapette mais d’aller à l’usine et de faire son service militaire. C’est peu ou prou un discours qu’on retrouve chez Papacito à l’heure actuelle.

Bien sûr le Bouseux ne justifie pas son discours anti-intellectuel par le virilisme, mais en caricaturant les thèses de Pierre Bourdieu en faisant passer la culture comme quelque chose de bourgeois ou de petit-bourgeois par essence. Et c’est idiot. Parce que les bourgeois ont un plus gros capital culturel, encourager les prolétaires à en acquérir davantage serait bourgeois ? Mais on peut dire ça pour tout : les bourgeois ont plus d’argent que les prolétaires, donc demander une augmentation du SMIC c’est bourgeois !

Le Bouseux oublie aussi que Michel Clouscard sur lequel il chie allégrement venait d’une famille de mineurs. Le concept de capital culturel c’est bien, mais ce n’est pas une excuse pour raconter n’importe quoi et cracher sur des auteurs sans prendre la peine de s’informer.

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Ce discours est d’ailleurs performatif. J’avais déjà parlé des dérives de ces discours très droitiers sur la situation sociale de certaines catégories du prolétariat dans un article répondant à Jérôme Martin. J’en avais aussi parlé en résumant un livre de Christopher Lasch, où il critique l’abrutissement des travailleurs dû à ce discours démagogique.

Et pour finir : lisez !

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2 commentaires

  1. Même si je n’ai jamais été très fan de tout son boulot, je trouvais que le Bouseux pouvait être assez pertinent sur certains sujets il y a de ça plusieurs années; mais au fil du temps, il a fini par s’enfermer dans un dogmatisme et une malhonnêteté intellectuelle qui ont fini par le rendre à mes yeux particulièrement insupportable à lire et à écouter… Sous couvert d’analyse “politique” et “sociétale”, il ne fait au final que répéter malhonnêtement le dogme en vigueur dans le camp qu’il s’est choisi, avec par-dessus une bonne couche de condescendance hautaine en prime…

    Et son rejet de Clouscard (qu’on aime ou pas d’ailleurs) est finalement assez symptomatique de cette malhonnêteté intellectuelle qui le caractérise désormais… Il se fiche pas mal de Clouscard à l’origine, ça se voit assez, mais comme vous êtes les seuls qu’il connaisse qui le citent, que vraisemblablement aucun de ses amis ne le connaît ou se réclame de lui, au lieu d’engager une vraie discussion d’idées, son hypocrisie va le pousser à chercher à discréditer Clouscard pour discréditer indirectement ceux qui s’en réclame, donc dans ce cas-ci Charles et une partie de la “charlosphère”. Comme tu dis, même pas sûr qu’il se soit véritablement renseigné sur le sujet, il n’en a pas besoin, ce n’est pas son but de vraiment parler de Clouscard…
    On pourrait très basiquement caricaturer sa pensée comme suit :
    “Camarade Charles n’est pas d’accord avec moi, donc c’est un odieux fasciste rouge-brun tendance extrême droite. Clouscard est régulièrement cité par Charles, or Charles est un odieux fasciste rouge-brun tendance extrême droite, donc Clouscard est un odieux fasciste rouge-brun réactionnaire tendance extrême droite. Or Charles cite Clouscard, donc Charles est un odieux fasciste rouge-brun réactionnaire tendance extrême droite. ” La boucle est bouclée. A ce niveau de malhonnêteté, on pourrait rétorquer à monsieur-le-bouseux que lui-même est en fait un gros réactionnaire trumpiste hypocrite, puisqu’il accepte d’utiliser le même média que Donal Trump et Marine Lepen…
    Enfin bref, merci de faire ce petit rappel sur Clouscard, c’est salutaire, certains auraient bien besoin de se renseigner un peu !

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